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sicien saxon le spectacle inoubliable d’une « attitude pleine de calme noblesse unie à une sûreté de pensée et à un abandon qui lui étaient absolument inconnus jusque-là, » comment ne pas reconnaître en lui le modèle des glorieuses figures de « héros » qui se manifestent à nous dans toute l’œuvre poétique de Richard Wagner, depuis le « dernier tribun » Rienzi et le capitaine du vaisseau-fantôme jusqu’au dieu Wotan lui-même et à l’aristocratique cordonnier Hans Sachs ? Et comment ne pas admirer la chance providentielle, qui décidément semble avoir pris en main, durant ces quelques mois, la destinée du jeune homme, comment ne pas l’admirer et la remercier d’avoir ainsi non seulement éveillé son génie créateur, mais de l’avoir aussitôt pourvu de la forme et du contenu de son œuvre future ? J’avoue en tout cas que je ne puis m’empêcher, pour ma part, d’attacher une très haute portée à ces renseignemens biographiques, — les plus précieux, peut-être, qu’ait à nous fournir toute la longue série nouvelle des Mémoires ou Confessions de l’auteur de Parsifal ; tout de même que je ne saurais dire à quel point mon cœur de vieux « wagnérien » a été touché de recueillir ces renseignemens, en quelque sorte, de la bouche même de l’homme extraordinaire qui, jadis, a été mon premier initiateur au monde bienheureux de la poésie et de la beauté.


Car les jeunes gens d’aujourd’hui peuvent bien vénérer en Richard Wagner l’un des plus magnifiqiies artistes de notre temps, — et de tous les temps : il ne leur est pas possible d’imaginer de quelle importance a été, pour notre jeunesse d’il y a un quart de siècle, la révélation de cet art prodigieux, où nous avions vraiment l’impression de trouver l’aboutissement suprême de tout l’immense effort esthétique de l’humanité à travers les âges. Qu’il y ait eu là, pour nous, une certaine part d’illusion, d’« auto-suggestion » collective, exagérant à nos yeux les proportions réelles du maître de Bayreuth et de son œuvre, je consens à le laisser dire, sinon à le reconnaître au plus profond de mon âme : il n’en reste pas moins que jamais, à coup sûr, — jamais dans toute l’histoire des arts, — aucun autre artiste n’est apparu à ses contemporains plus entièrement différent du reste des hommes, revêtu d’une puissance et d’un attrait plus parfaitement surhumains. Je ne crois pas que Napoléon lui-même, à l’apogée de sa gloire, ait été l’objet d’une adoration à la fois plus respectueuse et plus tendre que celle que nous inspirait, aux environs de 1882, le sublime vieillard qui, après cinquante années d’une lutte héroïque, était parvenu à élever, sur les ruines des plus somptueux palais du