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comportant l’occasion d’écrire « ni fugues, ni canons, » — ait été l’un des rares dépositaires survivans de l’admirable tradition musicale des Bach et des Mozart, un de ces contrapuntistes à la manière d’autrefois qui exigeaient avant tout qu’une œuvre de musique fût vraiment « musicale, » écrite avec le respect de ce qu’on pourrait appeler l’orthographe, la grammaire, et le vocabulaire musicaux ! Reçues un an plus tôt, ou plus tard, les leçons d’un tel maître n’auraient sans doute pas suffi à faire de l’élève un musicien « savant, » au sens le plus noble de ce mot ; et il est probable aussi que, même reçues à cette date de sa carrière, les leçons d’un autre professeur, suivant l’esprit et le goût du temps, n’auraient pas eu sur lui beaucoup plus d’effet que s’il les avait reçues dans un autre moment. Mais son heureuse chance, prolongée au delà de sa dernière nuit de jeu, lui a permis de se pénétrer là, une fois pour toutes, d’un enseignement qui, depuis, n’allait plus cesser de vivre et d’opérer au secret de son être, le poussant de plus en plus à se frayer une voie hors des limites trop restreintes de l’art d’un Rossini et d’un Meyerbeer, — jusqu’au jour où la création des grandes œuvres de sa maturité lui permettrait enfin d’offrir simultanément à soi-même et à nous la solution du problème consistant à savoir s’il « était ou non un musicien savant. » Oui, — nous en avons aujourd’hui la preuve certaine, — c’est à la folle aventure de l’étudiant-amateur dans un tripot de Leipzig et puis à ses deux mois d’entretiens familiers avec le vieux cantor de l’église Saint-Thomas que nous sommes redevables de tout « l’enchantement » sans pareil des derniers actes des Maîtres Chanteurs et de Parsifal[1] !


Encore les « surcroîts » extraordinaires de la chance du jeune homme, telle qu’il a eu l’impression de la voir descendre sur lui durant ces quelques heures d’« illumination » à la table de jeu, ne se sont-ils pas bornés à lui révéler l’essence et les lois d’une musique supérieure à celle que lui imposaient les conventions de son temps Une autre bonne fortune lui était réservée, non moins inattendue et fructueuse, aussitôt au sortir des leçons de Weinlich. Car de même

  1. Il convient d’ajouter que les pages des Mémoires de Richard Wagner où il nous raconte ses leçons avec Weinlich ont été écrites longtemps avant cette période suprême du développement de son art : tout porte à croire que, par exemple, au moment où il composait son Parsifal, le maître de Bayreuth nous aurait parlé en d’autres termes de l’influence exercée sur lui par ces leçons d’une science dont lui-même, désormais, reconnaissait très profondément l’éminente valeur esthétique.