Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à établir le caractère religieux des rites monarchiques, a certainement accru le prestige de la Couronne auprès de l’imaginatif et chrétien John Bull.

C’est, enfin, parce qu’elle considère sa tâche comme une délégation divine, qu’elle résiste avec autant de ténacité aux empiétemens successifs de la démocratie. Certes, son tempérament autoritaire ne se prêtait guère à l’extension des pouvoirs ministériel et parlementaire ; mais la bataille n’aurait pas été aussi acharnée si Victoria n’avait pas cru obéir à un devoir. Sa conscience et son instinct étaient d’accord pour lui commander une défensive énergique. Souvent un cri de lassitude lui a échappé : le labeur monarchique est trop lourd pour ses frêles épaules de femme, déjà courbées par les fatigues et les émotions de la maternité.


3 février 1852. — J’éprouve journellement un peu plus d’aversion pour tout ce qui touche à la politique. Nous autres femmes nous ne sommes pas faites pour gouverner et, si nous sommes de vraies femmes, nous ne pouvons que détester ces occupations masculines. Mais il y a des momens où l’on est forcé de s’y intéresser bon gré mal gré (sic), et alors naturellement je le fais avec acharnement…

19 février 1852. — Quel que soit l’intérêt que je porte à la politique européenne en général, je ne peux pas y trouver grand plaisir. Chaque jour je suis plus convaincue que les femmes, qui sont véritablement femmes, qui ont le caractère, la sensibilité, les qualités domestiques de leur sexe, n’ont pas les aptitudes nécessaires pour régner, du moins c’est à contre gré (sic) qu’elles s’astreignent au travail qui leur est imposé. Cependant nous n’y pouvons rien changer, et chacun doit remplir ici-bas le devoir qui lui est tracé, quelle que soit sa situation.


De cette plume sont tombés les deux mots, qui éclairent la psychologie de la Reine : « Il faut s’intéresser à la tâche bon gré mal gré. » « Chacun doit remplir son devoir. » Jamais Victoria n’aurait défendu avec autant d’âpreté les droits de la Couronne, si elle n’avait cédé qu’à un besoin instinctif de commander. La vie familiale et l’éducation de huit enfans, la gestion des domaines royaux et l’organisation des pompes monarchiques lui donnent assez souvent l’occasion d’exercer son autorité. Revêtue d’une mission sacrée, elle considère comme un devoir religieux de défendre les prérogatives du trône.

Elle a revendiqué les petites avec autant de ténacité que les grandes. Elle entend conserver à la Couronne le monopole des hochets, anoblissemens et décorations. Il ne faut pas que des