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y avoir des nuances d’inflexion qui suffisent à changer un mouvement particulier et précis en une gesticulation vague et banale. Puis, l’étude, même faite en vue d’un « tableau d’histoire, » n’est pas un portrait. Le peintre ne traite pas son modèle comme son client. Son client, il l’observe ; son modèle, il le « pose : » — ce qui est fort différent. Dans le Saint Symphorien, le licteur du premier plan, vu de dos, « pose » manifestement. On ne saurait se placer dans cette altitude naturellement et sans fatigue. Enfin, ayant posé son modèle dans une attitude qu’un honnête bourgeois ne prendrait certes pas de lui-même, il l’interprète. Un jour, l’Œdipe de M. Ingres était sur son chevalet. Son camarade Granger entre, lui fait force complimens : « Je reconnais ton modèle, lui dit-il. — Ah ! n’est-ce pas ? c’est bien lui ? — Oui, mais tu l’as fièrement embelli ! — Comment ! embelli ? mais je l’ai copié, copié servilement. — Tant que tu voudras, mais il n’était pas si beau que cela. » Il n’y avait rien de plus curieux, ajoute Amaury Duval, que de voir l’exaspération de M. Ingres qui, devant ses élèves, s’entendait accuser de ne pas suivre ses propres doctrines. Aussi comme il s’emportait ! « Mais vois donc, puisque tu te le rappelles, c’est son portrait… — Idéalisé !… » répétait Granger.

Nous n’aurions pas ce témoignage, nous n’en douterions guère. Cette figure n’a pas l’accent qu’on trouve toujours dans la nature prise sur le fait. De même l’Angélique, de même le jeune malade, son père et le médecin dans la Stratonice : ce ne sont pas là des gestes que l’on voit, ni que M. Ingres a vus, mais qu’il a voulu combiner, forcer ses modèles à faire, dès qu’il est entré dans ce qu’il appelait la « haute histoire. » Ce n’est pas de la vie : c’est de la mimique, et de la mimique imposée par la prétention de faire exprimer par la peinture des idées de drame. De son temps, il y a un mot, oublié aujourd’hui, qui revenait constamment dans les écrits, les discussions d’atelier, même les conversations courantes. Ce mot, c’était celui de beau idéal, — c’est-à-dire ce que l’on considérait comme le but suprême dans l’art ou dans la vie. M. Ingres se défendait de l’employer, mais en fait, dès qu’il quittait le terrain solide du portrait, il s’efforçait d’atteindre une sorte de mimique expressive qu’il ne voyait pas du tout dans la nature, mais seulement dans les ouvrages de Raphaël.

Quant à imaginer quelque chose, il en était tout à fait