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de nouvelles victimes à la longue liste de celles qu’il a sacrifiées à son ambition… Je n’espère plus rien des moyens humains, mais la main toute-puissante de Dieu existe, et j’espère qu’elle s’abattra sur cet ennemi plus dangereux que Robespierre, que son protecteur Barras et toute la bande ! » Mais, hélas ! l’Europe est lâche et veule. « Vienne est nettement gagnée… La Prusse est toujours au plus offrant, et de bonne foi à personne. Le Nord est annulé, l’Espagne et le Portugal de même, l’Italie et la Suisse asservies ! Voilà à peu près, dit-elle, le triste, mais vrai tableau ! » Le 21 septembre, Talleyrand accusait à Alquier réception d’une lettre du roi de Naples écrite à l’Empereur des Français et invitait le chevalier de Medici, qui avait remplacé Acton, à conseiller aux Russes de ne pas faire la moindre démonstration en faveur des Napolitains, afin d’éviter le ressentiment qu’une telle condescendance inspirerait à la France. Mais la Cour de Naples persistait à demander le retrait des troupes françaises et une étincelle allait jaillir de ces deux exigences, puis l’explosion fatale. Napoléon fit répondre par Talleyrand que ses troupes étaient à Naples par sûreté et y resteraient par prudence, tant que l’Angleterre inquiéterait l’Italie par le voisinage de ses forces et tant que la Russie paraîtrait vouloir se joindre à elle. La menace d’une guerre prochaine se lisait entre les lignes, et Marie-Caroline ne s’y trompait point. « Rien ne pourra nous sauver, écrivait-elle à Gallo, même en faisant le gros dos et le marchepied à Sa Majesté Impériale. » Tout en maudissant le despote, elle reconnaît son art vrai de régner « tel qu’on devrait, dit-elle, envoyer tous les princes qui doivent gouverner, un an ou deux, à l’école à Paris pour apprendre comment on conduit, gouverne et impose aux hommes. » Avec un chef comme Napoléon, tout était à redouter. Si les Napolitains rompaient avec les Anglais, la Sicile était perdue et les Français seraient les maîtres. Qui empêcherait ceux-ci de faire naître une révolte pour arrêter les souverains de Naples et les envoyer prisonniers en France ? La Reine suppliait Gallo de trouver quelque procédé habile pour détourner l’orage et gagner du temps.

« Achetez Talleyrand, écrivait-elle le 24 novembre 1804, que les étrangers, hommes et femmes qui viennent ici assurent très achetable[1]. Et quoique, au premier moment, il ne peut rien sur

  1. Elle lui avait déjà fait remettre 300 000 ducats en 1798.