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refuse pas à ses devoirs d’épouse, puisqu’elle a jusqu’à dix-huit enfans. Mais sa nature ardente n’est point encore satisfaite. Elle a de nombreux amans. Acton, Castelcicala, Belmonte, le chevalier de Saxe, et combien d’autres, obtiennent ses faveurs. À cette conduite désordonnée qui lui paraît excusable par l’exemple de la grande Catherine qu’elle admire plus que toute autre souveraine, elle mêle des pratiques apparentes de dévotion et invoque avec une sincérité napolitaine « le grand Dieu de miséricorde. » A peine a-t-elle pris le pouvoir qu’elle voit surgir en face d’elle le spectre rouge et tragique de la Révolution. Ses sujets se prennent d’enthousiasme pour les idées nouvelles qui viennent de France. Elle ressent alors une horreur sincère pour cette Révolution qui la menace dans son royaume, dans sa famille et dans ses plus chers intérêts.

Les malheurs immérités de sa sœur Marie-Antoinette et des Bourbons de France l’indignent et la désespèrent. La mort de Louis XVI, de la Reine, de Mme Elisabeth, les tortures infligées au Temple aux enfans de France accroissent sa haine contre les Jacobins. Les « maudits Français, » — c’est ainsi qu’elle les appelle, — sont en proie à une fièvre belliqueuse et à un appétit de conquêtes qui la stupéfient. Ces soldats en haillons sont partout, et partout ils triomphent. Les voilà en Italie, et leur nouveau chef Bonaparte court de victoire en victoire, écrasant les armées les plus aguerries et les mieux organisées du monde. Elle s’en émeut, elle en frémit de rage ; puis bientôt elle éprouve pour le jeune conquérant l’admiration que ressentait l’Europe entière. Elle se décide, pour sauver ses Etats d’une ruine inévitable, à négocier un traité de paix avec le Directoire. C’est alors que le nom du général Bonaparte apparaît pour la première fois dans ses lettres, le 8 octobre 1796. La Reine écrit « Buonaparte, » tel qu’il l’orthographiait lui-même dans sa jeunesse. « On nous mande de Livourne, dit-elle, que Buonaparte a eu l’ordre de prendre Mantoue soit en le canonnant avec de l’or, et pour ce motif on a envoyé 4 millions de livres tournois de Livourne, soit en y sacrifiant 20 000 hommes ; mais que la place, il devait l’avoir, s’il voulait conserver sa tête sur ses épaules. J’espère que tout cela sera inutile et qu’il n’y réussira point. »

Le général qui, par son habileté et son audace, avait déjà remporté les victoires de Montenotte, Millesimo, Mondovi, Lodi, Castiglione, Lonato, Roveredo et avait pris Ceva, Cherasco,