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l’air de rien : l’est qui veut, croit-on. Vérité en deçà de la frontière, erreur au-delà. À quelques pas des montagnes de fer et de phosphate du Centre tunisien, la masse sombre de l’Ouenza, annexée à l’Algérie, dit-on, par le coup de plume d’un diplomate, à l’heure de Fachoda, mûrit en ses flancs mystérieux le fabuleux métal qu’aucune énergie n’arrachera peut-être jamais aux inerties françaises. Sur la terre tunisienne, pour une demi-douzaine de gîtes qui valent bien plusieurs Ouenza, trois chemins de fer miniers ont été décidés, construits, exploités ; deux autres vont être prochainement ouverts. Et les bennes se déversent, et les wagons roulent, et les vapeurs s’emplissent sans exciter les scrupules de conscience des porte-paroles de la C. G. T., des réformateurs sociaux de la Montagne Sainte-Geneviève. Cela n’a-t-il pas quelque chose de proprement merveilleux et qui mérite qu’un Français s’y arrête quelques instans ?

Les causes de cet essor, aisé autant que rapide, se démêlent facilement : la Régence de Tunis, terre étrangère, fait ses affaires elle-même et les fait bien. La France, qui lui délègue ses administrateurs, ses ingénieurs, ses juges, ne lui impose ni le crible minutieux et lent de ses bureaux, ni les délais d’examen de ses commissions consultatives, ni d’autre contrôle de son Parlement que celui qui s’adresse, globalement, au budget et aux emprunts. Étudiée par la Direction générale des Travaux publics, qui est une sorte de ministère local, une concession de mine ou de chemin de fer a chance de voir le jour en quelques mois, parfois en quelques semaines. Administrativement, le mois tunisien vaut l’année française ou algérienne. Cela est si vrai qu’un des derniers rapporteurs des budgets de l’Algérie et de la Tunisie, M. Georges Cochery, mettant en parallèle les formalités et délais dont s’entoure la gestation d’une même affaire dans les deux pays, faisait ressortir, au profit de la Tunisie, un bénéfice de plusieurs années dans les cas les plus simples. S’étonnera-t-on ensuite que la concession du chemin de fer algérien de l’Ouenza ait pris, pour ne pas aboutir, huit ans, juste le même laps de temps qui suffisait à la Tunisie pour construire 521 kilomètres de chemins de fer miniers et mettre en chantier 325 autres kilomètres ?

Il est juste d’ajouter que la Tunisie a été servie de manière exceptionnelle par le talent et l’initiative des ingénieurs qui se