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objets qu'on dédiait aux deux déesses, la mode fut d'offrir ces épingles. Plus tard, après les guerres médiques, quand les Athéniennes reprirent le costume dorien, sans doute n'est-ce pas l'Orient qu'elles méprisèrent ; mais Athènes avait résolu d'en finir avec l'insolence des Éginètes et, en dépit de tout ce que ces gaillards pourraient dire, les femmes eurent de nouveau le péplos et l'épingle. Athènes avait été patiente ; elle s'était conformée à l'oracle d'Apollon qui commandait de tolérer trente ans les outrages d'Égine ; mais elle préparait sa revanche.

Il me paraît bien difficile de ne pas tenir compte de cette histoire, si l'on désire connaître la signification des Corés. Ces porteuses du chitôn et de l'himation qui, au nombre d'une cinquantaine, furent placées dans l'Hécatompédon en de telles circonstances, je me figure que les Athéniens les dédiaient, comme une dette religieuse, aux deux divinités du sanctuaire vénérable, Athèna Polias et Érechthée. Ces deux divinités étaient privées de l'offrande épidaurienne, parce que les Athéniens n'avaient pas su reprendre aux Eginètes les statues d'olivier. Ce n'était pas aux deux divinités athéniennes d'en souffrir. Et on leur consacrait, comme une redevance expiatoire, ces Corés de marbre dont le costume attestait un pieux repentir.

Telle est, si je ne me trompe, la signification des Corés archaïques.

Et alors, admirons leur sourire; admirons leur coquetterie adorable. En vérité, l'on ne dirait pas que ces Athéniennes charmantes fussent humiliées par les fatuités arrogantes des Argiennes et des Éginètes. Même, on pourrait, à cause de cela, révoquer en doute et l'anecdote d'Hérodote et les conclusions que j'en tire. Mais, au contraire, il me semble que leur attitude et leur façon d'être concordent parfaitement avec les ripostes que faisait, dans les cas embarrassans, l'orgueil des cités grecques. Sur la voie sacrée de Delphes, une cité victorieuse dressait un ex-voto superbe ; les autres cités avaient l'air d'accepter l'offense ; elles attendaient leur jour et alors bâtissaient, devant le trophée du rival, un monument plus élevé, plus riche et plus beau. Pareillement, les Corés ne refusent pas le costume qu'on leur a infligé ; elles ne refusent pas non plus d'acquitter, auprès d' Athèna Polias et d'Érechthée, la dette des Argiens. Seulement, leur réplique, c'est leur évidente beauté.