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gestes élégans, princes du sourire le plus fin, participaient au sentiment du peuple, et c'est lui qu'ils ont exprimé, sous les espèces de la pierre et de l'ironie.

À peine ose-t-on formuler une telle conjecture ; et toutes les précautions du langage n'empêchent pas les mots de lui donner une rigueur excessive. Mais comme, sur la terrasse du temple, à Égine, je regardais autour de moi le paysage délicieux, la mer fleurie, les îles épanouies et enfin l'innombrable sourire des flots, des promontoires et du ciel, j'ai revu de même que si je les avais eus sous les yeux les deux frontons que les Bavarois confisquèrent, et qui, là-bas, chez les barbares, continuent de sourire, et qui, en ce lieu privilégié de leur naissance, souriaient mieux, souriaient en harmonie, en juste accord et, pour ainsi parler, en complicité jolie avec le site, avec le décor, avec la lumière, avec toute cette gaieté méditerranéenne dont les Grecs ont fait leur génie.

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Le sourire éginétique, on doit aller s'en éprendre encore et l'étudier au musée national d'Athènes, dans la salle des archaïques. C'est un endroit extraordinaire où, des heures durant, l'on est soumis à la fascination d'un rêve immémorial. Combien de salles de musées, proches ou lointains, n'a-t-on pas traversées, d'un pas alerte ; et, à des milliers de belles œuvres, on donne un coup d'œil d'admiration rapide ; puis, l'on s'en va, et certes on regrette de ne pouvoir entrer dans toutes ces pensées nombreuses et importantes que réalisent les statues et les tableaux : tout de même, on s'éloigne, sans trop de peine. Les archaïques vous retiennent, d'une façon quasi despotique.

Ils vous entourent ; et l'on est leur captif. Ce sont de grands bonshommes, tout nus, rangés autour de vous, sur quatre lignes. Et ils vous regardent. Le plus haut a plus de trois mètres. Plusieurs n'ont plus de jambes et on les a posés sur des socles, comme des invalides, des culs-de-jatte. De certains, il ne reste que la tête. Les mieux conservés avouent quelques raccommodages ; ou bien il y a des lacunes dans la continuité de leurs membres. L'un d'eux a perdu le bras et l'avant-bras ; mais, avec le poignet, la main demeure attachée à la cuisse, comme une bête à un rocher. Tous ces garçons de pierre taillée ont la même attitude et la même allure. Campés droit, la tête