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Un chemin que nous n’aurions pas deviné nous éloigna de la mer. Le soleil dorait les arbres. Dans un creux, entre des vallons, un verger tranquille nous invita. Il y avait une tonnelle, avec une table de bois et un banc rustique. On nous donna du café, succulent et chaud, parfumé de cannelle. Le café fut notre gourmandise ; il y en eut une autre : le silence. Même si l’on a voyagé, l’on ne connaît pas beaucoup d’endroits où le silence ait tout son charme. On se les rappelle et on les énumère, on les raconte comme ferait une dévote les reposoirs de la procession. Chacun d’eux a quelque attrait, et plusieurs sont délicieux, laissent un souvenir que les mots ne définissent pas et qui enchante l’imagination. Le silence que j’ai trouvé dans ce verger d’Égine, la lumière l’embellissait ; et la chaleur, sans l’accabler, le rendait mol et voluptueux. Des figuiers, des mûriers et des grenadiers étaient la parure de ce verger dormant. Des plants de choux et de tabac ornaient le sol. Il y avait aussi des géraniums et des roses. Des guêpes bourdonnaient ; et des colombes volaient si près de nous que nous entendions le battement de leurs ailes : l’une même nous éventa. Le ciel était d’un bleu mouvant ; l’impalpable azur y frémissait. Le silence était radieux.

Il faut, par vingt détours, grimper le sentier qui mène au temple. Il est bordé de cyclamens et d’asphodèles. Il circule parmi le bois, qui est touffu aux cimes et, vers le bas, très aéré : ce sont des sapins verts et jaunes. L’on avance dans leur odeur, que la chaleur, ce jour-là, excitait et qui rôdait en bouffées. Beaucoup de sapins étaient, à quelque hauteur, blessés d’une large entaille ; il en coulait de la résine que recevaient, au pied de l’arbre, des pierres creusées comme des coupes. Cette résine, les Grecs la mêlent à leur vin. Et ces coupes, c’étaient parfois des cailloux un peu dégrossis, parfois de méconnaissables débris du temple. Elles donnaient assez bien le sentiment de la vie antique et de ses stratagèmes durables qu’ont inventés les pâtres des idylles.

Après avoir escaladé de longs sentiers de chèvres, glissans à cause des aiguilles de pins qui les couvrent et si déserts qu’on se croit perdu dans une île abandonnée, l’on parvient à une terrasse où d’abord on est ébloui. La lumière qui, au travers des arbres, ne lançait que des fléchettes éparses, est là sur son estrade ; elle a de l’espace et danse.