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Je désirais passionnément de découvrir le temple d'Aphaïa. Je le savais bâti sur un plateau très élevé. Je le cherchais, des yeux, suivant la courbe des montagnes que dentelait la quantité des arbres pointus ; en divers endroits, les fûts des pins se dressaient comme des colonnes. Enfin, je le pus reconnaître, élégant et grêle, tout blanc et placé parmi les feuillages comme un bijou dans une chevelure.

Égine est belle entre toutes les îles par sa forme régulière et pourtant variée, forte et pourtant gracieuse. Puis elle a son manteau de forêts noires, vertes et grises. Elle a encore, pour émouvoir, sa renommée tragique et sa réputation d'avoir inventé un sourire. De terribles aventures l'ont dévastée et elle n'a pas flori longtemps. Ses rivaux ne lui surent pas gré de porter le nom d'une jeune fille en l'honneur de qui Zeus fit de superbes folies : pour l'approcher, il se muait en flammes. Il attestait ainsi l'amour que la jeune Ægina lui inspirait ; et il eut d'elle un fils, Æaque, lequel est à présent l'un des trois juges des enfers. Avant cela, Égine s'appelait Oïnonè, mais à une époque si reculée qu'on n'en peut rien dire avec confiance. Dès après la guerre de Troie, elle subit la domination des Doriens d'Épidaure ; puis les rois d'Argos la soumirent. Mais, au commencement du VIe siècle, Égine secoua toute servitude. Alors, elle fut opulente et ingénieuse ; elle excella dans le fin travail des métaux, fabriqua des poteries et tira de ses fleurs des parfums qu'elle vendit aux connaisseurs jusqu'en Orient. Elle eut ses artistes, Smilis, Gallon, Glaukias et Onatas. Elle s'enrichit par le commerce. Elle envoya de toutes parts ses navires ; et les navires étrangers, qui venaient d'Égypte, d'Italie ou d'ailleurs, faisaient relâche dans ses ports.

Les Athéniens la trouvèrent gênante et Périclès la comparait à une taie qui eût aveuglé le Pirée. Ce fut le signal des violences. Égine, pour qu'on la laissât tranquille, envoya des bateaux et des hommes à la bataille de Salamine, des soldats à Platées et à Mycale, Mais Athènes jura de s'en débarrasser. Elle détruisit la flotte éginète, puis la ville et, pour plus de sûreté, chassa les habitans. Ils revinrent ensuite, quand Lysandre vengea les victimes de la suprématie athénienne. Ils revinrent décimés, découragés. C'était fini, à tout jamais, de l'originalité qu'Égine avait réalisée. Plus tard et beaucoup plus tard, les Vénitiens, Barberousse et Morosini, les diff'érentes barbaries et les