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était plus à sa portée. Voir là l’origine de la suzeraineté que les ducs de Normandie réclamèrent et exercèrent plus tard sur la Bretagne, c’est abusif. Il ne s’agit de rien de tel. Nous sommes en présence d’une permission comme celle d’aller piller la Bourgogne, accordée naguère par Charles le Gros aux Normands qui avaient assiégé Paris. Rollon et les siens, même devenus gens de bien, étaient en quelque sorte condamnés à vivre encore sur autrui pendant le temps nécessaire pour réparer les désastres dont avait souffert le pays qui devenait le leur. Charles le Simple, en fermant les yeux provisoirement sur les pillages qu’ils se permettraient dans une province sur laquelle son autorité était nominale, ne faisait pas un grand sacrifice et préservait le reste du royaume. Mais il n’y avait pas là de sa part abandon de la suzeraineté sur la Bretagne, et toutes les dissertations échafaudées sur ce sujet au XVIIIe siècle partent d’une hypothèse gratuite. Ce sont des guerres privées entre les ducs normands et les comtes bretons qui ont amené ultérieurement la vassalité de ceux-ci à l’égard de ceux-là, et c’est seulement deux siècles plus tard, à l’époque de Louis le Gros et d’Henri Beauclerc, que le roi de France consacra cette situation. Dans cette mesure et sous cette réserve, la clause de la convention de Saint-Clair concernant la Bretagne n’est pas à rejeter a priori.

Au contraire, il est tout à fait impossible d’admettre le mariage de Rollon avec Gisèle, fille de Charles le Simple. Dudon est le seul à en parler et tout son récit se heurte à une vaste impossibilité. Dudon trace de cette princesse, par la bouche des compagnons de Rollon qui le poussent à ce mariage, un portrait oratoire duquel il résulte que cette belle personne, de taille convenable pour le géant Scandinave, bonne ménagère autant qu’habile politique, « issue d’un sang doublement légitime, » est un prodige de vertus, de grâces, de sagesse et d’éloquence. Mais Dudon oublie de se demander quel âge pouvait bien avoir en 911 cette petite merveille. Soyons plus curieux que lui. Charles le Simple avait épousé en avril 907 sa première femme, Frédérune ou Frédérone, sœur de l’évêque de Châlons. En dix ans de mariage, elle lui donna six filles dont nous avons la liste. Sur cette liste, Gisèle ou Gile occupe le quatrième rang. Si elle est réellement la quatrième par ordre de naissance, il n’est même pas certain qu’elle fût au monde au mois d’octobre 911,