Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/31

Cette page n’a pas encore été corrigée

LA FILLE DU CIEL. ?; L’Impératrice. — Sans doute, oui... Mais d’abord, qu’est-ce donc? L’Empereur, montrant le trône. — Notre entretien suprême, je voudrais qu’il eût lieu là-liaut. Une fois dans votre vie, ne iut-ce qu’une seule fois sans lendemain, je voudrais vous avoir vue assise sur ce trône des conquérans tartares. L’Impératrice, trcs tranquille et détachée. — N’est-ce que cela? S’il vous plaît ainsi, je le veux bien. (Elle commence à monter les marches du. trône.) Je monte lentement : je suis brisée et défaillante... Ce breuvage que vous allez me donner, c’est celui qui endort, n’est-ce pas?... On ne verra point mes traits douloureusement se contracter? Le Phénix, même ago- nisant, aimerait conserver un peu de grâce. L’Empereur, de même. — C’est mieux encore que ce que vous souhaitiez: cela vient des Barbares de l’Ouest : des perles, brillantes sous une mince feuille d’or... On passe à néant à travers un sommeil soudain, dans un vertige très doux... L’Impératrice, de nouveau comme absente. — Ah !...dans un vertige... (Ils sont arrivés en haut. Elle s’assied à demi couchée sur le trône, qui est presque large commeun divan. V Empereur reste debout.) Eh bien ! maintenant, ne tardez plus, parlez... L’Empereur. — Ce n’est pas seulement pour un vain caprice que j’ai voulu vous voir assise là... Ce que nous avons à nous dire est si solennel! Entretien d’Empereur à Impératrice, de puissance à puissance... Ici, mieux qu’en bas, abstraits l’un et l’autre de nos personnalités terrestres, nous saurons prendre conscience de nos missions surhumaines... L’hiPÉRATRiCE. — De puissance à puissance?... Mais je ne suis plus rien, moi, qu’une captive qui ne compte pas. L’Empereur. — Vous êtes toujours souveraine et double- ment souveraine, maîtresse des destinées de la Chine, arbitre de tout... (V Impératrice V arrête d’un regard, comme offensée.) Maîtresse des destinées de la Chine, oui !... Et, ne vous offensez pas, je n’entends point là parler de votre pouvoir sur son Empereur... Mais, vaincue, captive, peu importe, n’ôtes-vous pas toujours la fille des Ming? Des cœurs, par centaines de mil- lions, vous appartiennent secrètement... La révolte, un moment domptée par mes soldats, renaîtra demain, renaîtra toujours... Vous seule au monde auriez le pouvoir de l’apaiser à jamais... et cela ne vous laisse plus le droit de mourir...