Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais c’est quelque chose de plus : une affaire de tempérament et d’instinct. Quand on est si fort attiré vers les peintures du vice, c’est qu’elles correspondent en vous à un secret désir. On porte en soi le germe des qualités ou des défauts qu’on recherche chez les autres. M. Lavedan n’a pas assez indiqué cet aspect de son étude, ou plutôt il l’en a résolument supprimé, parce qu’il était en effet embarrassant. Mais, malgré lui, la remarque subsiste, l’objection se présente et nous hante.

Ces deux protagonistes d’une comédie aimable qui seront récompensés à la fin, ces deux jeunes gens spirituels et gracieux qui finiront par être de tendres époux, nous sont donnés pour des personnages sympathiques, égarés un moment et victimes passagères de leur milieu, mais en eux-mêmes et par nature foncièrement bons. Le moyen de nous le faire croire ? Ce polisson de Lortay écrit des polissonneries à froid. Est-ce que c’est une excuse, par hasard ? Ce petit monsieur bien élevé fait commerce de malpropretés, parce que c’est l’article qui se vend. Je le trouve répugnant, tout simplement. Il fait, me direz-vous, comme font bien d’autres autour de lui. C’est bien ainsi que je l’entends. Et cette jeune fille qui lit des turpitudes et n’en est pas révoltée ! Son joli visage n’est pas une suffisante compensation à sa difformité morale. Décidément ces deux personnages sympathiques sont trop antipathiques. Ils sont trop vilains. Cela me gâte mon plaisir. M. Lavedan a dépensé en leur honneur tout son talent, toutes ses ressources d’esprit et de sensibilité : ce sont bien des affaires pour le mariage d’une demi-vierge et d’un pornographe.

Le Goût du vice est très bien joué, d’abord par Mme Pierson qui, dans le rôle de la mère, est comme toujours la bonhomie et la finesse elles-mêmes et qui indique à merveille, sans la trop souligner, l’inconscience de la bonne dame ; puis par la jeune troupe de la Comédie qui a rivalisé de verve et de zèle et réalisé un ensemble digne des aînés. Mlle Piérat, qu’on ne se lasse pas de nous montrer et que nous ne nous lassons pas de revoir, a fait du rôle de Lise Bernin une bien charmante création ; elle en traduit les deux aspects de perversité et de sentiment, non pas également, ayant dans son jeu plus de séduction que d’émotion. M. Dessonnes dans le rôle d’André Lortay est un jeune premier vraiment jeune : il a de l’élégance, de l’aisance ; il a plu, et bien servi son personnage. M. Bernard est un Tréguier touchant de bonté éperdue. M. Grandval a composé avec beaucoup d’intelligence le rôle de d’Aprieu ; et Mlle Maille, en Jeanne Frémy, a eu de la simplicité et de l’agrément.