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maisons où nous fréquentons, nous ne faisons que passer. Si nous nous arrêtons, c’est pour potiner ou jouer au bridge. Le théâtre porte, à sa manière, la marque de ce changement dans les mœurs. S’il n’est pas toujours une image fidèle de la société, le théâtre en est du moins un reflet. Or, il n’a pu vous échapper que dans les comédies de ces derniers temps, même les plus relevées de ton, et d’allures ou de prétentions le plus littéraires, on ne cause plus. On ne s’attarde plus en route ; rien d’inutile ; pas d’épisodes, pas de détours, pas de méandres, droit au but : nous ne sommes pas ici pour nous amuser. C’est déplorable. Et c’est absurde. Car les pièces de théâtre ne vivent, ou ne se survivent, que par le dialogue. Si nous relisons aujourd’hui les comédies d’Augier, de Dumas fils, de Sardou et de Pailleron, les fantaisies de Meilhac et d’Halévy, les proverbes de Musset ou de Feuillet, ce n’est pas la pièce elle-même que nous y allons chercher, c’est le dialogue qui nous renseigne sur la société d’un temps et parfois sur nous-mêmes. Le tour de ces conversations a vieilli par endroits, parce que rien ne passe aussi vite que la nuance d’esprit à la mode. Mais on sera toujours curieux d’y trouver une indication sur les idées et les mots qui, à une certaine date, avaient cours à Paris. On m’assure que si les femmes vont au théâtre, c’est en partie pour savoir comment on s’habille ; je voudrais qu’en partie aussi on y allât pour savoir comment on cause. On cause délicieusement dans les deux premiers actes du Goût du vice : ce sont les meilleurs de la pièce. A partir du troisième acte, on agit davantage ; on s’émeut ; la comédie tourné au drame. C’est, à mon sens, l’endroit où la pièce faiblit ; l’intérêt ne parvient pas à naître. Mais il sera temps, un peu plus tard, de présenter mes objections.

La toile se lève sur un intérieur de bourgeoisie cossue, calme, honorable, éminemment familial. Mme Lortay est veuve d’un officier supérieur. Elle s’est consacrée à son fils, qui est un modèle de bon fils et ne rentre ni un soir, ni une nuit, sans aller embrasser sa mère. Voilà la manière de chez nous. Cette mère et ce fils sont bien Français. Mais ils sont Français du XXe siècle. André Lortay a pris pour carrière la littérature, qui ne fait plus peur aux familles et qui est même d’un bon rendement. Les uns font du roman, d’autres du théâtre, Comme on fait dans d’autres professions le meuble de style ou le bronze d’art. Mais il faut dans toute industrie servir le client suivant ses goûts. Le goût du jour est au roman licencieux. Donc André Lortay fait du roman licencieux. Il aurait écrit des berquinades au temps de