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plus exactement dans laquelle des deux on se trouve, on a pris le parti de s’y mettre à l’aise, à tout hasard, et d’abdiquer une vaine contrainte. La toilette des femmes est provocante, leurs allures sont hardies, et, ce qui choque davantage, les jeunes filles ont répudié la sainte mousseline et tout le jeu des blancheurs assorties… Telle est la mode. Nous vivons dans une atmosphère de libertinage. On respire dans l’air le « goût du vice. »

Supposons qu’une jeune fille, un homme jeune, faits tous deux pour être de bons jeunes gens, aient respiré cet air, se soient imprégnés de cette atmosphère, se soient mis à cette mode. Marions-les. Quel avenir attend ce couple ultra-moderne ? Tel est le petit problème de morale sociale que M. Henri Lavedan s’est proposé de traiter, sous forme de comédie légère, dans le Goût du vice. Ainsi cette pièce se rattache aux pièces les plus fameuses de l’auteur et à l’ensemble de son théâtre. Dans le Vieux Marcheur et dans le Nouveau Jeu, M. Lavedan a peint les maniaques du vice ; dans Priola, il nous en -montrait le grand premier rôle, dans Viveurs les forçats et les fantoches. Cette fois il nous en présente les snobs.

Je dirai tout de suite que les deux premiers actes m’ont ravi. Ils sont tout en conversation, et c’est bien ce qui en fait le mérite. On n’imagine pas un dialogue plus souple, plus varié, plus vif, plus brillant et d’un éclat plus harmonieux. De la fantaisie, de l’observation, de la satire, des trouvailles imprévues. De l’esprit tout le temps et pourtant un air naturel, probablement parce que rien n’est plus naturel à l’auteur que d’écrire et de parler avec esprit. Pas une fausse note ; par une insistance ; à la minute où la touche risquerait d’être trop appuyée, l’entretien glisse à un autre sujet, les effleure tous et de chacun prend la fleur. Cela court, cela vole, et c’est un charme. M. Lavedan excelle dans cet art du dialogue : il s’y est surpassé. On comprend sans peine pourquoi je lui en sais tant de gré. C’est que l’art de causer fut une de nos traditions les meilleures, une de nos supériorités les moins contestées, notre véritable élégance, et que cette élégance est en train de se perdre, si elle n’est déjà perdue. On nous donne de temps en temps des nouvelles du « dernier salon où l’on cause. » Il y en a donc toujours un ; c’est quelque chose, mais ce n’est pas assez. Pour qu’il y ait une « conversation française, » il faut que l’on cause dans tous les salons, un salon étant essentiellement un endroit où l’on cause. Nous sommes loin de là, c’est évident. Nous sommes trop pressés, trop agités pour cultiver un art qui exige, comme tous les arts d’agrément, de l’étude et des loisirs. Dans les