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Il dispute sa proie aux grands ours, et dévore
Avec des cris joyeux la chair qui souffre encore ;
Il sera l’homme ; il n’est qu’un animal chasseur ;
Le mâle est sans pitié ; la mère est sans douceur ;
Pour éviter les ours en épiant le renne,
Tapi contre le sol, le couple humain s’y traîne ;
L’homme et la femme ainsi, quand ils rampent, prudens,
Sur leurs genoux et sur leurs mains, grinçant des dents,
Velus, ressemblent bien aux singes quadrumanes.

Autour d’eux et sur eux rôdent les noirs arcanes ;
Leur esprit trouble n’est que terreur dans leur chair ;
Tout leur fait peur, surtout le tonnerre et l’éclair ;
Ils redoutent dans tout des puissances occultes
Qu’ils chargent tour à tour de prière ou d’insultes ;
Et tels, sans feu, sans âme, et n’étant qu’appétits,
La mère derrière elle abritant ses petits,
Derrière lui le mâle abritant la femelle,
Encor près de la brute, ils agissent comme elle.
Ils élèvent pourtant un regard envieux
Vers les astres, qui sont consolans à leurs yeux,
Car la lune changeante et l’étoile lointaine
Font paraître l’affreuse nuit moins incertaine,
Et le soleil, en les réchauffant, réjouit
Les vivans effarés qu’épouvanta la nuit.


II


Là-haut, les immortels, brutes supérieures,
En buvant, en mangeant, charment le cours des heures ;
Ils vivent dans leur ciel, sur de vagues sommets,
Dominant l’homme vil, ne le plaignant jamais ;
Quoique toujours repus, ils sont durs et farouches ;
La foudre arme leurs poings, l’injure arme leurs bouches ;
Ils sont fiers de n’avoir jamais ni soif ni faim ;
Ils règnent, forts, méchans et beaux, — heureux enfin.