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En 1843, Félix Pyat reconnaît que le foyer de la Comédie tient des siècles passés « je ne sais quel air de grand seigneur. » A l’entendre, on n’y voit cependant que trois ou quatre bons sociétaires qui se chauffent tranquillement les jambes en jouant aux dames. Plus tard, Théodore de Banville constate que les sociétaires Maubant, Provost, Delaunay, Barré y jouent aux échecs. Le bilboquet eut aussi ses beaux soirs au foyer de la Comédie : on y renonça, par respect pour Scribe qui, prétend Banville, croyait y voir une censure indirecte de ses procédés littéraires. Ces critiques, pour la plupart, me rappellent le mot d’un cadet de Gascogne qui, ayant perdu son argent au jeu de la Cour, s’écriait en se retirant : « Le diable emporte la fichue baraque ! — Monsieur le garde, lui dit Louis XV qui l’entendit, comment sont donc faits les châteaux de votre pays ? » Il y a mieux : Banville réfutant Banville, à propos de ce même foyer de la Comédie. « Les comédiennes, confesse-t-il, y sont des grandes dames de l’art, qui savent faire les honneurs d’un salon. Bien de pareil à ce qui a lieu à l’Odéon, où j’ai vu de mes yeux Mlle B…, mariée depuis, manger du ragoût de mouton pendant la lecture d’une comédie (sous prétexte de déjeuner), et Mlle X…, qui est un peu de la maison, raccommoder le soir, au foyer, ses torchons et ses bas. » C’est l’éternel raisonnement du penseur qui juge l’humanité d’après cent ou deux cents personnes qu’il croit connaître, et qu’il n’a étudiées que de guingois. J’ai entendu des conversations admirables au foyer de la Comédie, des conversations conduites par Alexandre Dumas, Pailleron, Labiche, Lavoix, auxquelles s’associaient le clairon de Coquelin aîné, Got, Féraudy, Truffier, Mmes Bartet, Lecomte ; même en l’absence des chefs d’emploi, les doubles exécutaient encore d’excellentes symphonies parlées. Il est permis de conclure que Félix Pyat et Banville n’étaient pas là aux heures fatidiques.

Voici par exemple un croquis du foyer en l’an de grâce 1824, par Laferrière, alors que, élève de Choron, il venait faire sa partie dans les chœurs d’Athalie : mais il convient de remarquer que, Roger et Got exceptés, les comédiens n’ont que la moindre part aux Mémoires publiés sous leur nom : presque toujours un homme de lettres fait la toilette du livre et le met au point, quand il ne le compose pas entièrement, d’après la correspondance ou des notes informes de l’artiste… « Toute personne étrangère au théâtre ne pouvait être présentée que par