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le pasteur Brion poussait son obligeance proverbiale jusqu’à prêter volontiers sa chaire dominicale aux débutans désireux de parler en public devant un auditoire rustique et dénué de sévérité.

« Du roman de Frédérique avec Goethe, écrit Gambs[1] après cette explication préalable, je ne savais absolument rien en ce temps. Depuis l’abandon dont elle avait été victime, le chagrin avait détruit sa santé : elle comptait vingt-sept ans révolus et la fleur de sa jeunesse était dès lors entièrement flétrie. » C’est ici se montrer bien sévère, notons-le, puisque Gœthe trouva son amie « peu changée » l’année suivante. « Pourtant, continue le pasteur, dès l’instant où je franchis le seuil du presbytère, je me sentis environné par un indicible sortilège d’amour et plongé dans une atmosphère éthérée. Pendant le souper, l’entretien fut à la fois si simple et si spirituel, Frédérique, à côté de qui j’étais placé, me témoigna tant d’intérêt et de bonté, la gaité, la fantaisie, la cordialité s’allièrent de façon si parfaite en ses manières que les idées se prirent à germer dans mon cerveau sans effort et que je me sentis grandement attiré vers cette charmante personne ! »

On voit qu’en cet endroit Gambs fait un peu de littérature et marche sur les brisées de Gœthe avec une visible complaisance. Cependant Frédérique n’assiste pas au sermon du candidat théologien, mais elle insiste en revanche pour qu’il le répète tout entier devant elle au logis et le comble aussitôt des louanges les plus délicates : « Avais-je fait vraiment quelque impression sur son âme, se demande le héros de cette aventure, ou donnait-elle tout simplement la chasse à un jeune homme inexpérimenté comme sa sœur Salomé l’essayait au même moment avec mon camarade Marx[2], je ne sais… Mais comme nous

  1. Gambs n’est pas sans avoir laissé quelque trace dans la chronique de son temps. Né en 1759, il se trouvait, à la veille de la Révolution, chargé du service religieux à l’ambassade suédoise de Paris, alors gérée par le baron de Staël, comme on le sait. Il se distingua par son courage, en s’acquittant scrupuleusement de son ministère pendant toute la durée de la Terreur et en sauvant la vie à quelques proscrits de marque. Plus tard, après diverses vicissitudes, il vint terminer ses jours dans sa province natale comme pasteur d’une des paroisses protestantes de Strasbourg — Au moment même où Froitzheim invoquait son témoignage contre Frédérique Brion, M. Lods lui consacrait à Paris un intéressant opuscule : l’Église luthérienne de Paris pendant la Révolution et le chapelain Gambs. Fischbacher, 1892.
  2. Ce Marx, candidat théologien comme Gambs, l’avait accompagné à Sesenheim dans la même intention, celle de prêcher devant un auditoire villageois. Il épousa en effet Salomé Brion par la suite.