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hautes destinées et se décida donc à faire, en assez bon ordre, il faut le dire, la retraite qui est la trop fréquente conclusion de semblables campagnes. Il prit le parti de s’éloigner, non sans laisser derrière lui quelque dommage : dommage de nature uniquement sentimentale toutefois, car nous pouvons anticiper dès à présent sur la discussion qui va suivre pour affirmer que Frédérique conserva près de lui son honneur intact. Mais qu’il ait été moralement coupable en cette circonstance, cela n’est nullement douteux par malheur, et il en a fait au surplus l’aveu très sincère non seulement à son ami Salzmann en lui dévoilant l’état de son cœur pendant l’été de 1771, mais encore au public dans ses Mémoires, quarante ans après l’événement.

Il ne s’enfuit pas à la dérobée cependant, et nous devons même reconnaître qu’il eut le courage de sa lâcheté, si l’on peut ainsi dire. Il exposa franchement ses scrupules à Frédérique ainsi qu’au pasteur Brion sans nul doute puisque, — la longanimité de ces braves gens venant en aide à l’embarras du déserteur, — on put se quitter de bonne amitié. En effet, quelques semaines après la séparation, nous voyons Gœthe adresser de Francfort à Frédérique deux cahiers d’estampes par l’intermédiaire du greffier Salzmann : mais il n’ajoute aucun tendre message à ce souvenir artistique. En 1773, il priera le même ami d’envoyer à Mamsel Brion (sic) un exemplaire de son drame retentissant, Gœtz de Berlichingen, car il a songé à elle, dit-il, en y traçant un gracieux personnage de femme. Il ajoute cette fois : « La pauvre Frédérique se trouvera consolée jusqu’à un certain point par cette circonstance que l’infidèle est empoisonné ! » Enfin, en 1775, il a l’occasion de passer quelques jours à Strasbourg, mais ne donne aucun signe de vie aux habitans de Sesenheim : il est vrai que son état d’âme est à ce moment fort agité, au lendemain de la rupture de ses quasi-fiançailles avec la piquante Lili Schœnemann.

Que devient cependant Frédérique après l’abandon de son ami ? Nous possédons encore quelques renseignemens précis sur-cette période de son existence, parce qu’au lendemain du départ de son infidèle, elle fut remise en lumière par les attentions d’un écrivain moins célèbre que Gœtlie à coup sûr, mais qui n’est pas sans conserver quelque noLoriété chez nos voisins d’outre-Rhin. Gœthe avait en effet connu et fréquenté à Strasbourg le fils d’un pasteur livonien du nom de Lenz, personnage qui