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choisir le lieu d’accès où un convoi pourrait en quelques jours débarquer une véritable armée d’invasion.

La capacité de transport des flottes commerciales est devenue tellement énorme que, dans ces conditions, le port occupé par l’ennemi formerait pour lui comme un point de son territoire national, une base sans cesse approvisionnée de matériel, de vivres, de munitions. Base beaucoup plus assurée, beaucoup mieux pourvue, que ne saurait l’être la tête de ligne d’un chemin de fer traversant les Vosges ou l’Argonne. Les troupes qui en feraient leur point de départ, adossées en quelque sorte à des forces maritimes dont nous avons vu la formidable puissance sur la région littorale, ne seraient-elles pas en mesure de créer une diversion redoutable, et de jouer un rôle de premier plan dans les opérations militaires ayant Paris pour objectif ? Leur présence n’influerait-elle pas sur le sort même de la bataille décisive livrée près de la Moselle ? Supposons-nous enfin vainqueurs dans cette bataille, mais Boulogne, Dieppe ou le Havre au pouvoir de l’ennemi ; nous trouverions-nous en état de profiter pleinement de notre victoire ?


V

Nous pouvons maintenant répondre à la première des trois objections formées dans l’esprit public ; nous pouvons écarter cette opposition irraisonnée qu’il croit apercevoir entre la puissance navale et la puissance militaire. Ce qui précède montre en effet qu’on aurait tort de négliger l’action que les forces flottantes sont à même d’exercer sur la terre. Bien que les difficultés en soient parfois grandes, les moyens de les vaincre par un choix judicieux du lieu et du moment, et par une sage préparation de l’opération elle-même, sont aux mains des grandes puissances maritimes. Par là la marine peut atteindre à la fin de toute guerre, qui est la coercition matérielle s’étendant au besoin jusqu’aux biens et à la vie de la population ennemie dans sa masse.

Il en résulte aussi que le matériel naval, pour avoir toute son efficacité et remplir tout son rôle, doit comprendre une artillerie capable de vaincre les résistances côtières. Il faut donc de grands bâtimens. Il en faut certes déjà pour attaquer l’ennemi flottant, mais c’est un chapitre où l’on peut discuter : à la rigueur,