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elle peut se trouver là, devant la défense surprise, et concentrer sur une zone qu’elle choisit le feu d’une armée entière. Elle a cet avantage de rassembler dans un espace exigu, sous la protection de cuirasses presque impénétrables, — tout à fait impénétrables à l’artillerie de campagne, — un nombre énorme de pièces des plus gros calibres, des modèles les plus perfectionnés, fournissant le tir le plus rapide et aux mains des canonniers les mieux exercés. Tel cuirassé porte à lui seul, sans compter les petits canons utilisables contre les torpilleurs, 44 bouches à feu. L’escadre enfin est mobile ; elle forme un but incertain qui se déplace et se déforme devant son objectif immobile, tandis qu’elle en connaît exactement la distance, qu’elle en peut parcourir le front et gagner en un moment les ailes. La vitesse, la concentration, l’initiative, la supériorité d’armement, que d’atouts dans son jeu !

Bien des gens croient nos côtes entièrement protégées par nos défenses mobiles, contre une pareille attaque brusquée. Nous avons des torpilleurs, des sous-marins, des torpilles ou mines sous-marines : n’est-ce point assez pour transformer en désastre un essai de débarquement ? Non certes. D’abord, nous n’en avons pas partout en nombre. Ensuite, ce n’est qu’un risque ajouté aux autres risques de l’expédition : rien de plus. L’assaillant, choisissant et son heure et son point d’attaque, saura réduire au minimum les dangers qu’il court. Les torpilleurs, nous ne l’ignorons pas, restent inefficaces contre une flotte munie d’éclaireurs et de destroyers. Par ses propres bâtimens de flottille, celle-ci fera draguer les passes pour les débarrasser des mines flottantes. Elle-même se couvrira par des torpilles de blocus, par des estacades. Sa vitesse constituera lune de ses meilleures garanties contre le tir des sous-marins ; mais elle en trouvera une autre dans l’emploi des filets protecteurs, des filets Bullivant, qui lui permettront de séjourner sans trop grand péril dans un espace restreint. Que l’un de ses cuirassés soit atteint par une torpille, même par deux torpilles, les avaries n’en seront généralement pas mortelles. Et dut-elle perdre une ou deux de ses plus fortes unités, qu’elle n’aurait point à s’arrêter devant cette perspective, si le succès d’un grand débarquement devait être le prix de leur sacrifice. S’emparer d’un point stratégique, d’une île, d’une presqu’île, d’une baie proche de quelque port mal défendu, vaut bien un millier de vies