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premières. Il faut aussi qu’elles ne cessent pas d’écouler vers leurs débouchés habituels la plus grande partie de leurs produits, car, à défaut de ventes, l’entreprise serait incapable de payer ses ouvriers. La mobilisation n’enlèvera à leurs foyers qu’un homme sur 9 habitans en France, un sur 12 en Allemagne. Il restera donc sur place la très grande majorité de la population laborieuse, hommes âgés, femmes, adolescens, réformés, etc. Ces gens, il faudra les faire vivre, c’est-à-dire leur verser des salaires. Il faudra d’ailleurs les occuper. Imagine-t-on quelle crise effroyable soulèverait dans un pays d’industrie toute une population énervée par la guerre et chômant, désœuvrée, affamée !… Le gouvernement qui s’exposerait à laisser déchaîner sur son territoire de pareilles forces sociales, ne serait bientôt plus maître de conduire, suivant les intérêts de la guerre, les mouvemens mêmes de ses armées.

Eh quoi ! dira-t-on, à défaut de la mer ouverte, les frontières de terre ne suppléeraient-elles pas aux transports maritimes abolis ? On en va mesurer la difficulté. En France, le commerce de mer, égal, pour les exportations, à celui qui traverse les frontières terrestres, l’emporte sur lui de moitié pour les importations.

Il tient une place plus grande encore en Allemagne, puisque, en lui fermant, outre notre frontière, les chemins seulement de l’Angleterre, de l’Amérique et des Indes britanniques, nous aurions déjà coupé les voies où passe actuellement la moitié de son commerce total.

Pour répondre à des besoins nouveaux d’une pareille importance, il faudrait aux chemins de fer une élasticité qu’ils sont loin de posséder. A eux seuls la mobilisation et le service des troupes en campagne absorberaient tous leurs moyens. On s’en convaincra sans peine, comme le fait remarquer le commandant Amet, si l’on se rappelle le désarroi des Compagnies en des circonstances moins imprévues, lorsque Paris se vide ou se remplit aux vacances, ou lors des récoltes abondantes : pommes en Normandie, betteraves dans le Nord, etc. Le matériel de traction et d’exploitation, le personnel, les voies de garage ont été constitués pour le trafic normal : on ne peut les augmenter brusquement au-delà de certaines limites.

La neutralité de la Belgique, ne l’oublions pas, risque fort d’être violée par l’offensive allemande. Voit-on, tout au travers