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fournis par la nation, mais aussi des masses qu’on peut utilement mettre en œuvre[1]. Au-delà des proportions correspondantes, qu’il soit question de l’armement, de l’instruction ou de l’approvisionnement, les dépenses deviendraient gaspillage. On n’en tirerait qu’un faible rendement, très inférieur à celui qu’il faut attendre des forces maritimes.

Avant d’achever la comparaison des armées de terre et de mer, éclairons-la par un exemple qui répond aux deux autres objections.

Ce qu’il y a au fond des idées courantes, c’est ceci : la marine n’est pas un organe essentiel dont les services influent sur la guerre terrestre, puisqu’en 1870 notre supériorité maritime ne nous a servi de rien. Ce qui équivaut à admettre :

1° Qu’en 1870 la supériorité maritime ne nous a servi de rien. 2° Que la situation réciproque des deux pays étant la même aujourd’hui, amènerait par conséquent les mêmes résultats.

Or ces deux affirmations, portant l’une sur la guerre passée, l’autre sur la guerre future, sont également erronées. En 1870, nous possédions une incontestable supériorité navale ; nous n’en avons pas tiré tout le parti qu’on espérait. L’insuffisante netteté des plans d’offensive maritime et l’écrasement immédiat de nos armées de terre rendirent inutiles les préparatifs d’un débarquement, qui pouvait porter le trouble dans la mobilisation ou tout au moins dans la concentration ennemie. N’avons-nous pas cependant recueilli le bénéfice de notre force navale ? C’est ici la question la plus controversée.

Pour apprécier l’utilité d’une marine, il faut peser séparément les avantages que, dans le fait, la nôtre nous a procurés, et les résultats que nous en aurions pu faire sortir. Tranquilles du côté de la mer, nous avons pu consacrer tous nos efforts à la lutte terrestre. La liberté des communications avec l’extérieur nous a permis de renouveler nos armes, nos munitions, nos approvisionnemens, de prolonger la guerre de plusieurs mois. Mais qui sait s’il n’eût pas été possible de la prolonger encore, qui sait si le résultat ne se fût pas trouvé quelque peu

  1. La France peut mobiliser près de 4 millions de soldats instruits, l’Allemagne 6 millions, mais chacune environ 1 million seulement de troupes à mettre en ligne efficacement, si même on arrive à trouver l’emploi de semblables effectifs.