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moine fanatique persuadé que la femme est « la bête de perdition » destinée à dégrader l’homme et à le faire tomber : il n’a ni épouse ni maîtresse ; il méprise qui se laisse conduire par la maîtresse ou l’épouse : Danton, Hébert, Desmoulins, Tallien, Barras, Fréron encourent à bien des titres sa rancune, mais il déteste spécialement en eux des hommes « avilis » que conduisent des femmes. Mme Roland l’a littéralement exaspéré : nul n’a plus contribué que lui à mener à l’échafaud l’héroïque Manon. C’est lui qui, d’ailleurs, y jettera Lucile Desmoulins qui l’a longtemps cru son ami, et la « veuve Hébert, » après la « veuve Capet. » Et c’est lui encore qui, à la veille de Thermidor, y acheminera, avec une sorte de joie cruelle, cette belle fille de Thérézia Cabarrus, la maîtresse de Tallien. Si, de sa prison, elle réclame moins de gêne : « Qu’on lui donne un miroir, » ricanera-t-il. Et on sent passer, dans cette raillerie, la haine de cette beauté féminine qui a stupidement ensorcelé Tallien, hier « pur. » Il n’est pas jusqu’à sa sœur Charlotte qu’il n’ait, d’une main froide, écartée de sa vie. Pour la première fois, ce pays de France, sentimental et rieur, est gouverné par un ennemi de la femme et du rire.

Il n’est pas laid cependant, ce Maximilien : les demoiselles Duplay, dont il est l’hôte, le trouvent charmant et le lui font bien voir ; la citoyenne Jullien dont, à la vérité, les lettres sont celles d’une fanatique du prophète, lui trouve « les traits doux ; » et, de fait, aucun portrait ne révèle « la figure de chat » dont parle aigrement Buzot. Son portrait par Danloux nous présente un jouvenceau élégant, à la taille mince, aux traits à la vérité un peu forts, le nez et les lèvres trop larges, mais, en dernière analyse, de physionomie fort peu antipathique. Les yeux, sans doute, clignotaient derrière des besicles bleues ; c’était, disait-on, pour ne se point laisser pénétrer : au demeurant, d’une correction parfaite, les cheveux frisés, poudrés, les joues toujours soigneusement rasées, le petit corps maigre bien pris dans une redingote bleue ou marron qu’il porte sur la veste de casimir, chemise brodée à jabots, manchettes toujours blanches, ce sans-culotte se culotte de soie, trop fier pour sacrifier au débraillement républicain. Jusqu’au bout, les effets resteront sans taches, jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à cette horrible matinée du 10 thermidor où il viendra s’échouer, éclaboussé de sang et d’ordure, en lambeaux, sur la table du Comité de Salut public,