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CHEZ LES NOMADES DU TIBET.

vu, — ou senti, — que des sédentaires, que le parfum de ces Nomades impressionne fâcheusement ; ne croyez pas, surtout, qu’ils paraissent malpropres ! Non point. L’air vif dans lequel, par en haut et par en bas, leur corps est continuellement baigné, se charge d’en emporter l’odeur ; et la crasse, pénétrant dans les pores de la peau, s’incorporant à elle, n’apparaît plus comme une matière étrangère dont la présence incongrue mérite l’expulsion : non, elle fait partie intégrante du tissu, et elle ne semble plus qu’une patine vigoureuse et de grand effet.

Mais quelle atteinte à nos théories hygiéniques sur la propreté, que cette imperméabilité donnée à la peau, très logiquement, semble-t-il, puisque la pénétration de l’air glacé serait mortelle, et que toutes les races qui résistent au froid, Tibétains et Lolos comme Sibériens ou Esquimaux, y ont pareillement recours !

Quand ils se déplacent, les Nomades se coiffent d’un chapeau curieux. C’est un cône en peau de mouton ; parfois l’extérieur est doublé d’une étoffe rouge ou bleue, et toujours les bords sont relevés de manière que le poil blanc frisé de l’intérieur vienne dessiner une bordure élégante. Ce bonnet se prête à des variations de mode infinies : tantôt il est court et évasé du bas, tantôt démesurément long ; tantôt la pointe en est rentrée, tantôt elle pique vers le ciel, tantôt elle est cassée et retombe sur le côté comme dans le chaperon à longue queue de nos anciens dragons ; tantôt la bordure frisée est parfaitement circulaire, tantôt, déployée en avant, elle s’allonge en visière. Ces chapeaux ont quelque chose de comique et d’élégant à la fois qui fait notre joie.

Autour de chez eux, et même fréquemment en route, les Nomades vont nu-tête ; ils montrent ainsi leurs cheveux courts, mais non rasés, par quoi ils se distinguent de toutes les races sans exception jusqu’ici signalées dans l’Empire chinois.

Comme dans tout le Tibet, les cavaliers ont un sabre passé horizontalement dans la ceinture en travers du ventre, et en bandoulière un fusil, pourvu d’une fourche mobile. C’est un appareil étonnamment pratique : le tireur pique son fusil vers le sol où pénètre la fourche qui se redresse verticalement, tandis que le canon pivote et devient horizontal ; on tire alors à coup sûr, sans avoir perdu une seconde. Les Tibétains apprécient tellement, et à juste raison, cette fourche légère, qu’ils