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voulu détourner sa pensée de cette guerre qu’il ne se décidait pas à affronter, il suivait d’un regard attentif ce qui se passait à l’intérieur et, malgré l’installation de la régence, continuait à demeurer le chef véritable de son gouvernement. Les ministres conféraient de leurs affaires avec l’Impératrice, mais aucune décision sérieuse n’était prise sans l’assentiment de l’Empereur. Chaque jour, le préfet de police Piétri lui envoyait un rapport ; après chaque séance du Conseil, je lui en faisais un sur les questions abordées et sur la situation générale. L’Impératrice présidait nos conseils avec une gravité pleine de bonne grâce, d’intelligence, d’application. Quand elle n’était pas au courant des affaires qui se traitaient, elle s’en faisait instruire et, avec sa facilité d’assimilation, en parlait aussitôt comme si elle ne les eût jamais ignorées.

Dans mon premier rapport, j’indiquai l’impression favorable qu’avait produite sa première présidence : « Nous n’en sentons pas moins vivement la place qui est vide au milieu de nous et nous regrettons plus d’une fois la lumineuse raison, qui a d’autant plus d’empire sur nous qu’elle n’emprunte, en dehors de la force qui lui est propre, que la bonté et la grâce. Nous vous prions de ne vous imposer que les fatigues nécessaires et de vous conserver pour le pays qui a besoin de vous, et pour les serviteurs dévoués qui sont, ainsi que moi, affectueusement et respectueusement à vous. » L’Empereur me répondit : « Mon cher monsieur Emile Ollivier, je vous remercie de vos lettres et je vois avec plaisir que vous continuez à maintenir l’esprit public à la hauteur des circonstances. — Nous avons tout intérêt à tirer la guerre en longueur, puisqu’il nous est impossible de la terminer par ce qu’on appelle un coup de foudre. — Le préfet de police propose une mesure que je crois nécessaire. Je pense qu’il vous en aura parlé. Tenez ferme le gouvernail à Paris au milieu des flots révolutionnaires et comptez sur ma sincère amitié. »

La phrase de l’Empereur : Nous avons tout intérêt à traîner la guerre en longueur, me consterna. Mais j’eus beau insinuer l’audace, l’Empereur ne voulut pas entendre et continua à ne pas remuer. De nouveau, je m’adressai à Dejean, à Blondeau et leur demandai anxieusement d’où venait cette immobilité ; est-ce que nous n’étions pas prêts ? « Nous ne le sommes que trop, répondirent-ils, puisqu’ils ne savent que faire de ce que