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les mêmes, n’ont pas su nous rendre évidemment l’éloquence du maître, le charme qui émanait de sa personne, le magnétisme de cette volonté puissante, voilée d’imperturbable douceur et de sérénité parfaite, non plus que la fascination étrange qu’il savait apporter dans l’évocation mystérieuse du Nirvâna. Il peignait d’abord la vie des sens comme une mer furieuse, irritée, avec ses tourbillons, ses profondeurs insondables et ses monstres. Là sont ballottées, sans une minute de repos, ces pauvres barques qu’on appelle des âmes humaines. Puis, insensiblement, il faisait glisser l’auditeur dans une région plus calme, où l’océan s’apaise. Enfin, sur la surface lisse et immobile, se dessine un courant circulaire, qui se creuse en entonnoir. Au fond du gouffre, reluit un point brillant. Heureux qui entre dans le cercle du rapide et descend jusqu’au fond de l’abîme. Il entre dans un autre monde, loin de la mer et de la tempête. Qu’y a-t-il de l’autre côté du gouffre, au delà du point brillant ? Le maître ne le dit pas, mais il affirme que c’est la béatitude suprême, et il ajoute : « J’en viens. Ce qui n’est pas arrivé, depuis des myriades d’années, est advenu, et je vous l’apporte. »

La tradition a conservé le sermon de Bénarès, qui est le Sermon de la montagne de Bouddha. Peut-être y trouve-t-on un écho lointain de sa parole vivante. « Vous m’appelez ami, mais vous ne me donnez pas mon vrai nom. Je suis le Délivré, le Bienheureux, le Bouddha. Ouvrez vos oreilles. La délivrance de la mort est trouvée. Je vous instruis, je vous enseigne la doctrine. Si vous vivez selon la doctrine, en peu de temps, vous prendrez part à ce que cherchent les jeunes qui quittent leur patrie pour devenir des sans-patrie, vous atteindrez la perfection de la sainteté. Vous reconnaîtrez la vérité encore dans cette vie et vous la verrez face à face. Point de mortification, mais le renoncement à tous les plaisirs des sens. Le chemin du milieu conduit à la connaissance, à l’illumination, au Nirvâna. Le sentier huit fois saint s’appelle : juste foi, juste résolution, juste parole, juste action, juste vie, juste aspiration, juste pensée, juste méditation. Ceci, ô moines, est la vérité sainte sur l’origine de la souffrance : c’est la soif de l’être, de renaissance en renaissance, avec le plaisir et le désir, qui trouve ici et là-bas sa volupté, la soif de volupté, la soif de devenir, la soif de puissance. — Ceci, ô moines, est la vérité sainte sur la suppression