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l’offensive voulaient user sans retard de notre supériorité provisoire et ne pas perdre un seul des jours pendant lesquels nous la possédions : ils conseillaient de pousser immédiatement une attaque sur Mayence ou les États du Sud, tandis que la mobilisation prussienne n’était pas terminée et la concentration pas même commencée. « Leurs plans de concentration sont si compliqués, a dit le reporter du Times, Russell, qu’une irruption soudaine aurait tout fracassé d’un coup[1]. »

Les Prussiens le redoutaient. Moltke disait à Bismarck : « Avec ces diables de Français, il faut s’attendre à tout ; s’ils venaient se jeter comme des fous au milieu de notre mobilisation, je ne sais pas trop ce qui arriverait. » Dans des notes trouvées à l’État-major, il disait encore : « Si les Français avaient l’intention d’attendre l’arrivée de leurs réserves pour commencer leurs opérations, ils n’auraient pas dès aujourd’hui déclaré la guerre. Il est vraisemblable qu’ils franchiront la frontière demain cinquième jour de notre mobilisation. Il est probable que les Français, en admettant qu’ils s’avancent d’une manière si décidée, arriveront devant Mayence le douzième jour (19 juillet). » Le 22 juillet, Moltke mandait au Roi que les Français n’avaient pas encore mis le pied sur le territoire allemand, mais pouvaient le faire d’un jour à l’autre et que rien ne pourrait les en empêcher. « On était en droit de supposer, a dit Moltke plus tard, que les Français, réunissant vivement toutes leurs forces disponibles, et s’assurant ainsi au premier moment une supériorité numérique considérable, allaient franchir les frontières de la province rhénane et du Palatinat pour s’opposer à la concentration des armées allemandes sur la rive gauche du Rhin. » La panique en Allemagne était générale et le mot de chacun au réveil était : Arrivent-ils ? La Valette écrivait confidentiellement à Gramont : « La Reine, prévoyant le cas où les succès de nos armes nous conduiraient au cœur de l’Allemagne, aurait exprimé très discrètement le vœu que certaines propriétés ayant appartenu au prince Albert, ou devant appartenir au duc d’Edimbourg, pussent être respectées par nos armées. Il y a là pour Elle, ou pour les siens, plus que des intérêts matériels : il s’y rattache de pieux souvenirs, toujours vivans dans sa mémoire. Lord Granville ne pouvait me parler

  1. The last great war, ch. I, p. 27.