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probable qu’elle avait appris à lire et à écrire. Ce second point n’est encore qu’une hypothèse, mais des faits nouveaux viendront bientôt la confirmer.

Pour compléter cet exposé, à qui pouvons-nous mieux nous adresser qu’à Jehanne elle-même ? Au début de sa mission, à Poitiers, l’examen auquel on avait tenu à la soumettre se prolongeait depuis trois semaines. Elle en témoignait parfois son impatience. S’adressant un jour à Pierre de Versailles : « Je crois bien, dit-elle, que vous êtes venu pour m’interroger ; je ne sais ni A ni B, mais je viens de la part du Roi des cieux pour y faire lever le siège d’Orléans et mener le Roi à Reims, afin qu’il y soit couronné et sacré. » Et passant de la parole aux actes : « Avez-vous du papier, de l’encre ?… dit-elle à Jean Erault. Écrivez ce que je vous dirai : « Roi d’Angleterre et vous, Duc de Bedford, qui vous dites régent du royaume de France ; vous Guillaume de la Poule, Comte de Suffolk ; Jean sire de Talbot ; et vous Thomas sire d’Escale, etc., je vous somme de par le Roi des cieux que vous vous en alliez en Angleterre… etc. » La lettre, écrite le 22 mars, ne fut envoyée qu’un mois plus tard de Blois, lorsque, sa mission reconnue, Jehanne eut enfin le droit de la faire parvenir aux Anglais.

Ces détails nous ont été conservés par Cousinot, maître des requêtes, auteur de la Chronique de la Pucelle, les procès-verbaux des séances de Poitiers ayant malheureusement disparu. Pour Rouen, au contraire, le résumé de toutes les séances a été conservé. Quelle que soit la partialité et souvent la mauvaise foi qu’on y trouve, les déclarations qu’on y relève restent la source où il faut toujours puiser pour mieux connaître Jehanne.

Le signe qu’elle avait donné au Dauphin était une des questions qui revenaient constamment dans les interrogatoires. Or, c’était le point sur lequel elle avait dit maintes fois ne devoir jamais rien révéler. Le mercredi, 2 mai, eut lieu la séance solennelle dans la « Salle des Paremens. » Le tribunal était entouré de 67 assesseurs. Jean de Châtillon, docteur en théologie, archidiacre d’Evreux, fut chargé de faire, à Jehanne, ce qu’ils appelaient « une monition charitable » et de l’interroger ensuite sur tous les articles à elle reprochés. C’est donc en cette séance solennelle que Jean de Châtillon lui dit : « Au sujet du signe remis à votre Roi, voulez-vous vous en rapporter à l’archevêque de Reims, au sire de Boussac, à Charles de Bourbon. La