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son culte de la forêt. On ne peut voir ses chênes puissans, musclés, nombreux, profus, sans se rappeler ce qu’il disait, un jour, à Thoré-Burger, en se promenant dans la forêt de Fontainebleau : « Si j’étais roi, je ne compterais point les grands chênes que les siècles ont légués à mon pays… Qu’un propriétaire égoïste, dans son domaine privé, ne songe pas à ses enfans et plante pour son seul intérêt, c’est un malheur de la constitution actuelle de la propriété, dont on a le droit d’abuser, mais l’Etat, l’Etat plus immortel que les chênes, n’a-t-il pas la mission de conserver les êtres de longue durée au travers des accidens passagers de la vie ? L’Etat est le contemporain de l’avenir, de même qu’il est le contemporain du passé… » Et il cherchait, selon ses moyens, à leur conférer une sorte de survie.


Il y a, ici, un autre adorateur des chênes, Diaz. Dans son culte bizarre, il imagine la forêt comme une cathédrale, ferme sa voûte, et ne laisse passer que des rais de lumière tombant sur les fûts comme, au travers des vitraux, le soleil oblique dore les colonnes et les piliers d’églises. Il tire, de là, des effets singuliers et presque fantastiques, transformant ses arbres en candélabres d’argent, ses fougères en dentelles, ses feuillages en velours. Plus romantique et plus tendre que Rousseau, il cherche de plus violentes antithèses, dans ses Hauteurs du Jean de Paris, par exemple. Quand il est plus simple, comme dans sa Lisière d’un bois (auprès du portrait de M. Chauchard), il est plus émouvant. On sent bien ici, ce qu’a de particulier l’approche d’une grande forêt, la limite entre deux mondes : la plaine humaine et féconde d’un côté, et de l’autre, la forêt mystérieuse, inculte et divine, avec ses épaves, rejetées sur ses bords comme au bord, de la mer : des bûches, du bois, des choses mortes, mais qui peuvent servir, avec quelqu’un, toujours, qui rôde pour les recueillir : ici, une vieille femme chargée de fagots qui suit le chemin. C’est encore, là, une petite découverte dans le monde végétal.

Dans le monde animal, deux artistes représentés ici, Delacroix et Barye, en ont fait de semblables. Delacroix a fait vivre les fauves. Sa Chasse au tigre, peinte en 1854, pour Weill, sous ce titre : « Tigre attaquant le cheval et l’homme, » en est la preuve. Certes, ce ne sont point des animaux sans reproche au point de vue anatomique. Ils auraient beaucoup à apprendre