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vive, au moins dans ses figures, et n’a rien perdu de son ragoût. Elle aurait plutôt gagné, semble-t-il, car quand il vit pour la première fois cette Vache blanche qui se gratte, exposée au Salon de 1859, Castagnary écrivait : « Je n’admets en aucune façon la vache qui se gratte, si puissamment modelée, pourtant, mais dont les tons de lumière sont totalement embus. « Aujourd’hui, elle fait honneur à son peintre. Le grand souci de Troyon était, en effet, la facture. Pour obtenir les tons frais des Hollandais, il employait les couleurs à l’état natif. Pour maintenir l’harmonie constante entre elles, il menait tout de front : le paysage, les bêtes, les lumières, les ombres, le ciel, piquant une touche ici, puis là, partout. « On peut dire que son tableau se faisait en rond… » dit son élève Van Marcke.

Ce fut aussi le grand souci de Rousseau, le tourment de sa vie, la pierre philosophale indéfiniment convoitée. Plusieurs de ses toiles, réunies ici, en portent la preuve. Travaillées à plusieurs époques différentes, grattées, reprises, repeintes, torturées, elles accusent l’effort pénible et l’ambition déçue. Mais lorsque le but est approché, quel triomphe ! « C’est un grand oseur, disaient les Goncourt en 1852, qui a poussé plus loin qu’aucun l’étude des plus délicates modifications du jour et le rendu des plus difficiles jeux de lumière dans la verdure, par le matin, à midi, le soir, avant la pluie, après la pluie… » Nous avons, ici, des exemples non pas excellens, mais assez significatifs de toutes les phases de son enquête, depuis l’Avenue de la Forêt de l’Isle-Adam, exposée au Salon de 1849, jusqu’à cette Charrette, carrefour de la Reine-Blanche au Bas-Bréau, qui figurait parmi les cent neuf études peintes exposées au cercle des Arts de la rue de Choiseul, en 1867, quelques mois avant la mort du peintre. Un an avant l’exposition de la première toile, Rousseau avait reçu son premier grand encouragement officiel. C’était en 1848 : Ledru-Rollin, accompagné de Jeanron, directeur des Beaux-Arts, montait rue Pigalle où habitait Rousseau et lui faisait, au nom de l’Etat, une commande de 4 000 francs, somme énorme en ce temps-là et qu’on regarda comme une munificence digne de Périclès. Et quand cette dernière petite toile, la Charrette, fut exposée, Rousseau reçut sa dernière consécration officielle : la médaille d’honneur et la croix d’officier.

La gloire venait à ce sylvain reclus à Barbizon, perdu dans