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pour en user aussi cavalièrement avec dame Nature. Pendant trente années, je l’ai copiée avec conscience, avec respect, avec amour, avec une naïveté poussée souvent jusqu’à la gaucherie… C’est parce que j’ai fait ainsi pendant un quart de siècle qu’aujourd’hui j’ose déchirer ma lisière et m’émanciper un peu. »

En effet, dans cette longue galerie donnant sur les Tuileries où l’on a réuni les principaux, — et je ne dis pas les meilleurs, — Corot, on voit aisément la déchirure de la lisière. Ses plus anciennes toiles, comme la Charrette, souvenir de Marcoussis près de Montlhéry, montrent des choses qu’on a coutume de voir. Cette toile a une histoire. Elle était à l’Exposition Universelle de 1855 et obtint, grâce à Delacroix et à Français, une médaille de 1re classe. L’Empereur vint à passer, accompagné de M. de Nieuwerkerke qui la trouvait horrible, reprochant à sa couleur d’être « boueuse » et à sa facture d’être « cotonneuse, » et de M. de Chennevières qui la trouvait ravissante. Il la regarda longuement et l’on ne sait ce qu’elle put lui rappeler ou lui inspirer, mais il l’acheta, malgré son surintendant des Beaux-Arts. « Eh bien ! vous voilà content ! » dit M. de Nieuwerkerke à son collègue. C’est ainsi que dès 1855, en dépit de toutes les légendes dont se fait l’histoire de l’Art, Corot n’était déjà plus un « méconnu. »

Peu de temps après, il commençait à s’émanciper avec « dame Nature. » Nous voyons, ici, le Chevrier jouant de la flûte dans une clairière, — soleil couchant, exposé au Salon de 1857, — et malheureusement aujourd’hui très fendillé par le bitume. Il y a déjà beaucoup moins de fidélité au « motif » que dans la Charrette. « Je ne sais où cet excellent homme, dont la manière est si doucement émue, va prendre ses paysages, disait Castagnary devant cette toile, je ne les ai rencontrés nulle part. » Et dans son Passage du gué, exposé en 1868, sous le titre le Soir, le parti pris de l’ordonnance est encore plus visible. Cette page fit alors une grande impression que nous comprenons mal aujourd’hui. Elle a sans doute poussé au noir, s’est ternie et plombée. Ces vaches ne passeront jamais la rivière où elles sont plongées, car elles sont de bois et auraient grand besoin que leurs voisines, celles de Troyon, leur apprissent à se remuer.

Car il est largement représenté, ici, le Paul Potter national, maître dans un genre peu cultivé avant lui, tout à fait délaissé depuis, et où il fit quelques découvertes. Sa couleur est restée