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LA SALLE DES COROT

Que Corot lui aussi soit un « découvreur, » ce n’est contesté par personne. On s’en aperçoit moins ici qu’ailleurs, parce qu’il n’y est guère à son avantage et, après les toiles rassemblées au mois de mai dernier à la galerie Georges Petit, c’est un assez pauvre régal que la collection Chauchard. Quelques-unes même ressemblent à ces « horreurs doublées d’infamies » qu’on apportait parfois au bonhomme comme étant de lui et qu’il repeignait bénévolement pour les rendre un peu moins indignes de sa signature. Mais, telles qu’elles sont, elles témoignent cependant que, de tous les artistes réunis ici, Corot est bien le plus novateur.

Quand vous sortirez de la collection Chauchard, au lieu d’aller chez Rubens, tournez à droite, dans les petites cellules hollandaises et arrêtez-vous dès la première, intitulée salle Hobbéma, n° XXVI. Vous verrez, là, leurs premiers modèles. Manifestement, Rousseau, Dupré, Daubigny, sont tourmentés par le Moulin à eau d’Hobbéma, Troyon par la Prairie de Paul Potter, Meissonier par la Robe blanche de Terburg, Jacques par le Pâturage de Karel Du Jardin. Poussez plus loin, salle Ruysdaël, salle XXV. Rousseau est contenu en puissance dans le Buisson de Ruysdaël, Meissonier dans la Leçon de musique de Metzu et mieux encore, un peu plus loin, salle Jean Steen, n° XXII, dans la Dentellière de Vermeer : Corot n’est nulle part.

C’est dans la nature seule qu’il faut aller chercher ses sources, dans certains coins de nature, et surtout à certaines heures du jour, et plus encore peut-être dans certains états d’atmosphère où il ramène tout ce qu’il voit. Sa grande découverte fut de peindre les choses au moment où, ne les voyant pas encore, ou bien ne les voyant plus, on les devine. Son grand procédé fut de repeindre ses ciels sur ses arbres, — ce qu’on appela « donner de l’air. » C’est peu de chose en soi, mais c’est la découverte d’un nouveau monde. Vous pouvez parcourir toutes les salles des paysagistes hollandais, ici et ailleurs : vous ne trouverez rien qui s’en rapproche. Ce monde est nouveau, et ce, monde est vrai, C’est une des innombrables modalités dont se compose ce qu’on appelle « la nature. » Pour s’en assurer, il suffit d’aller regarder, dans la petite salle qui fait suite à celle des Meissonier, la toile intitulée le Moulin, placée à l’angle sud-est, du côté du