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respectueuse et pleine de tendre amitié, il conjure Charlotte de consentir à un échange régulier de longues lettres où tous les deux se parleront à cœur ouvert, comme autrefois sous les allées du parc de Pyrmont. Il n’écrit plus guère de lettres, en vérité, et n’a même plus guère le temps de lire celles qu’on lui écrit : mais combien il éprouve de plaisir à la lecture des moindres paroles d’une amie dont « toute la vie extérieure, et plus encore toute la vie intime, l’intéressent de la façon la plus passionnée ! » Et voici encore, par exemple, en quels termes il réclame une nouvelle lettre, deux semaines environ après avoir reçu la première :


Notre correspondance subit des vicissitudes étranges. Au début, c’était vous qui estimiez recevoir trop rarement des lettres de moi ; et maintenant c’est moi qui me trouve forcé à me plaindre de votre silence ! Vous m’aviez pourtant bien promis, l’autre jour, de m’écrire régulièrement tout de suite après le 15 de chaque mois : mais sans doute vous ne l’avez point fait, puisque, si vous m’aviez écrit, votre lettre serait déjà depuis longtemps entre mes mains, tandis que ni le courrier précédent, ni celui d’aujourd’hui ne m’ont rien apporté. Je m’inquiète, je crains que vous ne soyez souffrante, je m’ingénie à chercher ce qui a pu vous empêcher de m’écrire. Mais, quoi qu’il en soit, j’ai hâte de vous dire que j’aspire vivement à voir arriver une lettre, et que j’ai lu et relu bien souvent celles que j’ai déjà eues de vous, et toujours avec une reconnaissance profonde des sentimens que vous avez bien voulu conserver pour moi avec une fidélité si merveilleuse !… Votre image est demeurée présente en moi durant toute ma vie ; et toujours, comme je vous l’ai écrit récemment, toujours et même parmi les circonstances les plus diverses elle m’est apparue infiniment lumineuse et tendre. Je croyais bien que jamais plus, en ce monde, je ne recevrais de vos nouvelles. Notre rapprochement s’est produit tout juste pendant la période la plus active et la plus affairée de ma carrière : mais cette période est maintenant passée, et depuis longtemps, depuis bien longtemps déjà je me sens travaillé du besoin de vous écrire…

Soyez assurée, ma chère Charlotte, que je mets une confiance illimitée en vous, en votre franchise, votre fidélité, et la délicatesse de vos sentimens ! Comment, sans cela, vous écrirais-je moi-même avec tant de franchise et d’ouverture de cœur ? Mais il faut aussi que vous ayez une profonde confiance en moi ! Soyez certaine que tout ce que vous me dites en confidence repose et se trouve enfermé en moi comme dans un tombeau ! Et soyez certaine aussi que, de tout mon cœur, je vous ai toujours voulu du bien, et vous en voudrai toujours ! Fiez-vous à moi-même lorsque vous ne parviendrez pas tout de suite à me comprendre ! Remettez-vous-en à moi du soin d’entretenir nos relations réciproques, et d’en éloigner toute influence qui risquerait de les troubler ! Jamais je ne m’efforcerai d’imposer à personne la moindre de mes idées, et surtout à vous ! Mais j’ai la conviction ineffaçable que vous ne sauriez jamais, non plus, méconnaître