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qui, au Congrès de Vienne, a été choisi pour fixer le programme des questions à débattre, comme aussi pour rédiger le texte des résolutions adoptées. Sans compter que celui que l’illustre savant Bœckh a appelé « un homme d’État d’une envergure vraiment péricléique » a également partagé avec Gœthe l’honneur d’être considéré comme le plus haut esprit de l’Allemagne d’alors. Lié d’une amitié très étroite avec l’auteur de Faust ainsi qu’avec son rival Schiller, non seulement ces deux poètes nous ont laissé un témoignage public du précieux profit qu’ils avaient toujours retiré de ses entretiens, mais peut-être se serait-il acquis lui-même, dans les lettres allemandes, une situation comparable à la leur, si la politique ne l’avait pas empêché de développer avec plus de suite les nobles qualités de pensée et de style que nous révèlent aussi bien ses poèmes que ses pénétrantes études sur l’origine et l’évolution des langues européennes.

Il s’était marié, en 1791, avec une jeune femme à la fois très riche, très intelligente, et très belle, qu’il devait aimer, jusqu’à la fin, d’un touchant amour mêlé de tendresse et de vénération. Et ainsi sa vie se déroulait, merveilleusement imposante et heureuse, lorsque, dans les derniers jours d’octobre 1814, au sortir de l’une des séances de ce Congrès de Vienne qui venait de mettre le comble à sa célébrité, il reçut une lettre de son ancienne amie de la pension meublée de Pyrmont. Celle-ci, qui s’appelait à présent Charlotte Diede, et dont il n’avait ou aucune nouvelle depuis le jour où, vingt-six ans auparavant, il avait écrit sur son album le gracieux compliment que j’ai cité tout à l’heure, lui renvoyait précisément cette page jaunie de l’album de naguère, pour lui prouver qu’elle avait eu bien réellement l’honneur de se rencontrer avec lui. La pauvre femme avait été très loin d’obtenir, de la destinée, un bonheur égal à celui de l’illustre personnage qui jadis s’était plu à « partager avec elle son sentiment du vrai, du beau et du bien. » Séparée de son mari après quelques années de violentes querelles, et condamnée ensuite par son humeur et son éducation « romantiques » à une série d’aventures assez scandaleuses, elle suppliait humblement le tout-puissant diplomate d’intervenir en sa faveur auprès du duc de Brunswick, dont elle aurait voulu recevoir une petite pension. Car elle avait autrefois, en 1806 et puis de non-veau en 1812, abandonné au duc tout le capital qu’elle tenait de ses parens, pour contribuer de son mieux à la délivrance de la patrie allemande ; et maintenant elle se trouvait sans ressources, seule et prématurément vieillie, incapable de pourvoir à son entretien.

Sa requête, dont elle nous a laissé un court résumé, paraît avoir