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Ceux de nos ancêtres qui vécurent alors rappellent les figures de ces cinématographes, qu’ils inventèrent, et auxquels ils firent une si singulière fortune. Leurs gestes étaient trop rapides, saccadés et presque mécaniques. Sans doute, nous ne devons pas les juger, pour être sages, sur, un seul auteur ; nous en connaissons d’autres qui nous ont rapporté des observations différentes, mais cette réserve faite, il reste significatif que celui-là ait existé, ait plu, ait été applaudi. Nous ne voyons pas qu’au XVIIe siècle, lorsque les littérateurs s’appliquaient tout entiers à l’observation de l’homme intérieur, on eût seulement pu concevoir un Rovetta. Nous n’imaginons pas non plus qu’on ait pu le concevoir au XVIIIe siècle, lorsque les philosophes échafaudaient les théories et les systèmes, et qu’il n’en était pas un qui ne prît parti et n’engageât sa responsabilité. Il faut donc bien qu’il réponde à une modification profonde de la pensée, du goût, de l’art et de la vie. Cette génération se livra toute à l’action, non pas comprise comme un remède à l’existence, mais à une action désordonnée et stérile. Les élémens divers de la société luttaient entre eux ; on allait d’instinct vers les conflits et les luttes ; et on devait faire appel à une nouvelle violence pour les arrêter. La mort était considérée comme une fatalité pénible et affreuse, et cependant on ne la traitait pas comme une affaire grave : on se disputait férocement le droit à la vie, dont on ne savait que faire par ailleurs. Une élite se réservait, dans les écoles et dans les basiliques, un coin pour rêver, pour penser, ou pour prier. Mais au dehors, on entendait les clameurs de la foule misérable. L’époque n’était ni grande, ni belle ; privée de ce qui constituait l’idéal ancien, elle ne trouvait pas ce qui pouvait lui fournir un idéal nouveau. » — Quels que doivent être eux-mêmes nos petits-neveux, meilleurs ou pires, voilà comment ils raisonneront sans doute ; et peut-être n’auront-ils pas tout à fait tort.


Paul Hazard.