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où Dieu m’a mis, et aux frères que Dieu m’a donnés ; par l’amour, inné chez tout homme, envers la terre où mon père est né, et où mourront mes fils ; par la haine, innée chez tout homme, envers le mal, l’injustice, l’usurpation, l’arbitraire… je donne mon nom à la Jeune Italie, association d’hommes qui croient en la même foi, et je jure de me consacrer tout entier et pour toujours à faire avec eux de l’Italie une nation une, libre, indépendante… » On oubliait alors la fiction de la scène ; pour le dire avec un critique florentin, qui remercia Rovetta au nom de toute la nation, on voyait « la patrie italienne sur le théâtre. »

Cependant tout se tient ; celui qui peint l’âme d’une nation à un moment donné de son évolution, va nécessairement plus loin que son propre dessein ; il est forcé de noter, à côté des traits particuliers et locaux, les traits généraux de l’espèce ; quand il observe ses compatriotes et ses contemporains, c’est toujours l’humanité qu’il voit. Et la façon même dont il voit est un jugement involontaire qu’il porte non seulement sur sa propre race et sur son milieu propre, mais sur tout son temps. Elargissons donc encore l’étendue de son témoignage ; demandons-nous si les acteurs fiévreux et agités de ses drames et de ses romans ne sont pas à quelque degré les hommes d’aujourd’hui, qu’ils soient nés à Milan, à Paris, à Londres ou à Berlin. La Commission officielle chargée de juger le concours dramatique où il présenta sa Realtà, en 1895, inséra dans son rapport un mot qui mérite d’être rapporté. Avec Rovetta, disait-elle, « nous nous trouvons dans l’atmosphère même où nous vivons, et où nous ne sommes pas tellement heureux de vivre. » Les caractères qu’il nous présente laissent l’impression pénible d’une insuffisance et d’une lacune : n’est-ce point, peut-être, parce que la majorité des caractères manque aujourd’hui de vigueur et de relief ? Ses personnages s’agitent comme au hasard, sans suivre de règles, sans être soutenus par une doctrine ou même par une idée : en voyons-nous beaucoup parmi nos contemporains qui pensent leur vie ? La question d’argent prend dans son œuvre une exceptionnelle importance : serait-ce à dire que le rôle de l’argent diminue dans notre société ? Pensons bien que c’est sur nous-mêmes, sur nos actes, sur nos âmes, que nos petits-neveux chercheront ces documens qu’il offre à foison. « Voilà, diront-ils, une époque qui ne ressemble pas aux précédentes.