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d’assurer les destinées de la nation le savent bien. À l’intérieur, il est la chaîne solide qui retient unis des intérêts différens, et parfois opposés ; il permet à l’Italie de supporter les lourdes charges du présent, et de résister aux épreuves dont le sort se plaît à frapper quelques-unes de ses provinces. Tel le sentiment patriotique restera, dans l’œuvre de Rovetta, comme un des documens les plus caractéristiques de la psychologie de l’Italie contemporaine ; tel il apparaît dans ses romans ; tel il éclate dans son Romanticismo.

En effet, la tradition de la littérature antérieure à 1870, qui unissait intimement l’art à la politique, et transformait la poésie même en une arme de combat, semblait rompue une fois l’unité finie. Comment guider encore un peuple arrivé à son but ? Comment prêcher la formation d’une patrie désormais formée ? Depuis 1815, on avait fait entrer le patriotisme dans toutes les œuvres : il devenait inutile maintenant. Et c’était un thème de lamentations, que le divorce menaçant entre la politique et les lettres. Or, voici qu’apparaissait une pièce patriotique ; qu’elle n’était pas accueillie avec une moindre faveur que l’avaient été celles de Niccolini, soixante ans plus tôt ; que la foule applaudissait, en l’écoutant, ses propres idées et son propre enthousiasme. Voici qu’une pièce italienne commençait une course triomphale à travers toutes les provinces, montrant partout la présence des mêmes souvenirs, des mêmes sentimens, du même culte. Avec joie, avec orgueil, avec attendrissement, on accueillait la reconstitution idéale des jours glorieux : les jeunes nobles provoquant en duel les gros officiers autrichiens ; toutes les bonnes volontés, même celles des prêtres, s’organisant pour chasser l’étranger ; les femmes unissant dans un même amour leur mari conspirateur et leur patrie opprimée. Dès le premier acte, on avait l’impression d’une œuvre qui dépassait la portée des drames ordinaires. On croyait prendre part à la réunion des patriotes dans l’arrière-boutique du pharmacien Ansperti ; on écoutait le récit de la propagande par les idées et par les livres ; l’horreur planait, quand on rappelait les emprisonnemens et les pendaisons. Les spectateurs répétaient mentalement, pleins de respect et d’émotion, le serment des conjurés : « Au nom de Dieu et de l’Italie, au nom de tous les martyrs de la sainte cause italienne, tombés sous les coups de la tyrannie étrangère ou domestique ; par les devoirs qui me lient à la terre