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très sains, plus moraux ou moins immoraux que beaucoup d’œuvres contemporaines, comptent des pages que l’on voudrait que Rovetta n’eût pas écrites. Il sait bien que toutes les femmes ne sont pas semblables à ces créatures d’exception ; il sait bien qu’il existe des jeunes filles à la grâce délicate et pure ; qu’il y a des épouses héroïques, qui consacrent toute leur existence aux humbles devoirs de leur foyer ; que les affections les plus désintéressées que les hommes puissent éprouver ont toujours quelque chose d’égoïste, à côté de l’affection des mères. Il le sait ; il essaye de représenter parfois les premiers émois d’un cœur vierge, ou la passion désintéressée d’une femme vertueuse ; il s’efforce de tracer une de ces nobles figures, qui ressortent sur la banalité ou sur la laideur des autres. Mais il y réussit mal. Ses portraits les moins vivans, sans aucun doute, sont ceux des honnêtes gens ; et parmi ceux-là, les moins heureux, ce sont encore ceux des honnêtes femmes.

Ouvrons celui de tous ses romans où la femme semble le mieux traitée : Mater dolorosa. Que la figure de la duchesse Maria d’Eleda ait de la grandeur, voilà qui est incontestable. Être liée à un mari que l’on sait vil ; de toutes les forces d’une âme sensible et blessée, aimer un autre homme ; étouffer en soi cet amour : c’est connaître son devoir. Voir sa propre fille conquérir peu à peu le cœur de l’homme qu’on aime, non pas sous l’empire d’une passion véritable, mais par coquetterie ; assister à leur mariage, vivre leur vie, souffrir toujours, sans qu’un instant de faiblesse vienne trahir ce douloureux secret : c’est être héroïque. Mais prendre sur soi la faute de sa fille adultère ; et, pour la sauver, encourir le mépris de celui qu’on aime, du seul être qu’on aime au monde : c’est être sublime. Quand Maria d’Eleda vient trouver sa fille jusque chez son amant, afin de lui annoncer que le mari est averti, qu’il attend à la porte pour voir qui sortira ; quand elle se décide à sortir elle-même, et à se montrer coupable en rendant l’autre innocente, le lecteur est saisi de ce frisson sacré qui ne trompe pas sur la valeur d’une belle œuvre. Et pourtant, il doit bien s’avouer que le caractère de la mère, si admirable à l’instant du sacrifice, le touche peu soit avant, soit après. On l’appelle la Madone de neige : et c’est la vérité même. L’auteur n’a pas suffisamment montré, sous le masque d’indifférence volontaire qu’elle porte, le tumulte des passions généreuses. Il est naturel que ceux qui