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à quiconque a pris part à la vie intellectuelle de son temps : il a lu, donc il a retenu. Ce qu’on ne rencontre pas, ce sont des dogmes, ou des formules, ou seulement des programmes. Point de doctrine : quel charme, et quel repos ! Qu’il soit béni, pour n’avoir jamais écrit de dissertation, ni de préface ; pour n’avoir jamais expliqué ce qu’il fallait être, et ce qu’il ne fallait pas qu’on fût ; pour n’avoir jamais gâté le plaisir simple de ses lecteurs, en leur faisant l’école ! Des romans de Rovetta, les mots qui marquent l’intervention de l’auteur, ou les ruses qui la cachent, sont rigoureusement bannis : point de « je, » point de « moi, » point de « nous. » La tendance de son esprit est telle, qu’il saisit les apparences sensibles sans chercher à pénétrer au-delà. Il présente le minimum de la déformation nécessaire à l’art ; les objets viennent se refléter en lui, comme dans le miroir le plus parfaitement plan qu’il soit possible de concevoir. Il n’aime pas le monologue, si lent, si lourd, et qui semble n’être jamais qu’une caricature de la pensée. Il exprime ce qu’il entend d’ordinaire, c’est-à-dire des dialogues ; tels qu’ils se présentent d’ordinaire, c’est-à-dire rapides et hachés. De même, entre tous les temps qui servent à localiser l’action, c’est le présent qu’il emploie le plus volontiers ; on cite de lui un roman tout entier, La Moglie di Sua Eccellenza, qui est écrit sans imparfaits ni passés : les personnages sont saisis au moment même où ils parlent. Ce qui pourrait être, chez les autres, un tour de force et un jeu de difficulté, est chez lui naturel et spontané : il n’entreprend pas une narration, il note une vision. Il n’est ni classique, ni romantique, ni naturaliste, ni idéaliste, ni symboliste ; on ne peut même pas dire qu’il se défend de toute théorie, parce que se défendre de toute théorie, c’est encore en avouer une. Il rend la vie.

Les autres romanciers, lorsqu’ils donnent dans le genre psychologique, choisissent peu de personnages, et réservent pour un seul les faveurs de leur analyse : comme s’il était possible d’isoler ainsi un individu parmi tous ; comme si chaque vie n’entraînait pas une foule d’autres vies après elle, indissolublement liées ! Dans le genre historique, même défaut : l’auteur économise toujours les existences que la réalité prodigue ; il extrait maigrement d’une époque quelques créatures d’exception dont le rôle exprès semble être de nuire à son héros, ou plus souvent de le favoriser : comme si chacune de nos actions, même