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lesquelles personne ne put entrer ni sortir de la ville, les habitans se croient délivrés ; mais les Turcs sont furieux, ils n’ont trouvé qu’un petit nombre d’armes et aucune trace précise d’Apostol. Sur le soir, sans aucun prétexte, tous les Bulgares, réunis par groupes de 100 à 200 personnes, sont parqués dans la rue sous la garde de soldats, et jusqu’au mardi à quatre heures après-midi, il ne leur est permis ni de se coucher, ni de s’asseoir, ni de manger, ni de boire. Lorsqu’ils furent enfin délivrés, les malheureux, les jambes enflées et noires, défaillaient. Dans les campagnes environnantes, les paysans sont encore plus maltraités ; aux uns, mis à genoux, on place des cailloux coupans dans le pli de la jambe, puis on les frappe à coups de bâton sur les cuisses ; à deux autres on met des œufs brûlans sous les aisselles et on leur lie les bras ; le nommé Athanase, de Radomir, est lié à un mûrier, les mains passées derrière l’arbre, la tête au grand soleil et il y reste trois jours sans manger ni boire ; un autre reste deux jours les bras attachés en croix ; des femmes sont battues. Plusieurs Bulgares moururent des suites des tortures subies. Aucun Serbe, aucun Grec ne fut molesté ; au contraire, du côté de la frontière de Thessalie, ce sont les Grecs qui sont traqués, et, dans le Nord du vilayet de Kossovo, ce sont les Serbes qui pâtissent.

Les témoins de ces scènes barbares sont unanimes à déclarer que ces violences n’étaient pas le fait d’une soldatesque déchaînée, mais quelles étaient méthodiquement commandées et organisées par les officiers. Les chefs militaires et même les membres le plus en vue du Comité Union et Progrès à Salonique, des humanitaires comme le docteur Nazim bey, ne cachent pas leur opinion à ce sujet ; ils regardent la bastonnade comme le seul moyen de gouverner et de pacifier la Macédoine. Sous l’ancien régime, il restait aux persécutés un recours, un espoir ; parfois l’arrivée d’un consul européen les délivrait ; aujourd’hui, les Jeunes-Turcs n’admettent plus l’intervention des consuls, et ceux-ci, l’été dernier, n’auraient pu sans péril s’interposer. À Monastir, en septembre, un délégué du Comité Union et Progrès, Hadji bey, fit publiquement, dans un discours, l’apologie du meurtrier du consul russe Rostowski. Talaat bey et Djavid bey eurent soin d’affirmer que les consuls n’ont aucun droit d’intervenir dans les affaires qui n’intéressent pas leurs nationaux. Ici encore, les Turcs font le second pas avant le premier ;