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au Palais même, le défaut où se reconnaissent les mauvais avocats. Les autres, ceux qui se font écouter et qui réussissent, ont pris en plaidant l’habitude de chercher, de saisir le nœud de toute difficulté, et, comme on dit, de « débrouiller » les affaires. Ils ont acquis une méthode de travail et une pénétration prompte. La pratique du droit les a formés d’ailleurs à ces solutions juridiques, qui ne sont en somme qu’une manière raisonnable et pacifique d’accommoder les intérêts à d’autres intérêts, et les passions humaines à la nécessité sociale. Ils savent, parce qu’ils le font tous les jours, exposer, discuter, et, quand il le faut, attaquer vivement ou riposter avec vigueur. Enfin le courant des procès les mêle, dans la profession même, à tous les mouvemens d’idées, et la vie du Barreau, par le contact de tant d’hommes divers, les prépare naturellement à la vie publique. C’est pourquoi, de l’une à l’autre, ils ont passé sans effort, à partir du jour où le régime parlementaire fut définitivement installé : et ce sont les qualités développées au Barreau qui triomphèrent ensuite à la tribune ou dans l’exercice du gouvernement. Un homme tel que Dufaure, où que sa destinée l’eût placé, serait certainement entré dans les assemblées, et s’y serait imposé. Mais il proclamait lui-même que, sans l’heureuse préparation du Palais et du Barreau, il aurait dû, d’abord, apprendre le droit, les affaires, la discussion publique, tout ce qu’il savait après vingt années de plaidoirie.


V

Le menu qu’on distribuait aux convives, le soir du 11 décembre, dans la salle des Pas-Perdus splendidement illuminée, reproduisait une lithographie de cette salle qui date de 1810. On y voit des hommes coiffés d’une toque noire, revêtus d’une robe noire où se pose un rabat blanc, qui se groupent entre eux ou avec leurs cliens, et traitent leurs affaires. Sous les mêmes voûtes en 1910, des hommes pareillement coiffés et vêtus vont, vivement, chaque jour entre onze heures et quatre heures ; devant les Chambres, plus nombreuses, du Tribunal et de la Cour, ils plaident. Quelque chose n’a pas changé depuis cent ans, ni depuis bien des siècles : c’est que tous ces hommes ensemble forment cette corporation unique qu’on appelle le Barreau.