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suspects, quelques-uns de ces hommes continuèrent de plaider. Ils ne pouvaient rendre viables les juridictions mal venues de la Constituante. Ils assurèrent du moins sans faiblir la défense des accusés dans le drame où la Révolution allait s’ensanglanter. Quand la mise en jugement de Louis XVI fut décidée, ils se préoccupèrent aussitôt de lui fournir un avocat. Louis XVI avait désigné d’abord Target et Tronchet. Target, comme on sait, déclina ce périlleux honneur, tandis que Malesherbes, ancien magistrat, le revendiquait. Le petit groupe des anciens avocats au Parlement voulut alors se concerter.

« Tronson-Ducoudray, l’un de nous, — raconte Berryer père[1], — avait cru devoir nous réunir un jour à dîner chez lui, afin de s’assurer de nos dispositions respectives depuis l’étrange défection de Target. Les principaux convives étaient : Delacroix-Frainville, Bellart, Bonnet, Chauveau-Lagarde, Bureau de Colombier, Bitouzet de Linières, Blaque et moi. Les noms des autres sont sortis de ma mémoire. Il fut délibéré et convenu entre nous que nous formions une ligne défensive ; que, si le choix du monarque tombait sur l’un de nous, les autres l’assisteraient comme conseils. On arrêta même que tous les systèmes de défense projetés seraient fortement tracés par les premiers mots de l’exorde. L’orateur devait dire en substance : « J’apporte à la Convention la vérité et ma tête. Elle pourra disposer de ma vie quand elle aura entendu mes paroles. » Il devait essentiellement s’élever contre l’audacieuse attribution de compétence que la Convention s’était faite à elle-même. L’événement trompa notre attente. Aucun de nous ne fut appelé. »

Aucun d’eux ne fut appelé en effet : De Sèze avait été choisi par le Roi, le 17 décembre, pour plaider le 26, et c’est à son nom, à ceux de Malesherbes et de Tronchet que demeure attaché l’honneur du devoir accompli au péril de la vie. Mais le même devoir, au prix des mêmes dangers, Berryer, Tronson-Ducoudray et leurs confrères étaient prêts à l’accomplir : à défaut de l’Ordre disparu, ils continuèrent une des traditions dont les avocats ont raison de tirer gloire[2].

Au tribunal révolutionnaire, Chauveau-Lagarde s’est à jamais illustré par son courage. On le vit auprès d’une foule d’accusés,

  1. Souvenirs, I, p. 146.
  2. Est-il besoin de rappeler ici qu’en 1871, durant la Commune, le bâtonnier Edmond Rousse revendiqua le péril de la défense avec une égale intrépidité ?