Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans tarder. Au Châtelet, qui jugeait en premier ressort, les audiences, désormais publiques, s’emplissent aussitôt d’un monde curieux, avide de suivre et de contrôler l’œuvre de la justice. Des avocats criminels s’improvisent. En même temps, chaque jour, les journaux racontent le détail de ce spectacle émouvant qui commence à l’interrogatoire et s’achève, après la plaidoirie, par la condamnation ou l’acquittement.

Toutefois, les temps n’étaient pas révolus où l’Ordre des avocats tirerait de cette procédure publique une puissance, une renommée imprévues. La Constituante avait à pousser plus loin la réforme appelée par l’opinion. Elle souhaitait la chute des Parlemens. Il est constant qu’après leur longue association avec ces grands corps de magistrats, les avocats ne firent rien pour les sauver. Quinze ans seulement s’étaient écoulés depuis l’affaire du Parlement Maupeou, mais quinze années désastreuses pour cette antique union. Tandis que les Barreaux étaient gagnés aux idées nouvelles, l’esprit de caste entêtait les magistrats dans une résistance inconsidérée, et les montrait enfin adversaires du pouvoir royal, non pas tant pour le bien public que pour leurs propres intérêts. Dès 1789, les Parlemens étaient condamnés : ils vécurent encore quelques mois d’une existence incertaine ; ils disparurent par les deux décrets du 16 août et du 7 septembre 1790. Avec eux, unis une dernière fois, disparaissaient leurs Ordres d’avocats. Alors et jusqu’en 1810, on ne peut parler d’une histoire du Barreau : il n’y a que des avocats isolés, dispersés, livrés à leurs inspirations individuelles et qui ne ressemblent, n’ayant plus entre eux le lien corporatif, ni à ceux qui les précédèrent, ni à ceux qui les suivirent.

En 1790, au jour où l’Ordre était supprimé, il comprenait six cent sepl membres à son tableau. La plupart renoncèrent à la profession, comme déroutés, effrayés par les conditions où elle allait s’exercer. Un petit nombre s’obstina et voulut durer. Quelques noms sont connus, et certains illustres : Delamalle, Henrion de Pansey, Berryer père, Bigot de Préameneu figuraient dans cette petite cohorte, et aussi Tronchet, Target, Treilhard, Tronson-Ducoudray, Bellart, De Sèze, Chauveau-Lagarde. Les tribunaux avaient toujours besoin d’avocats, et les accusés de défenseurs. C’est pourquoi, entraînés par l’amour du métier, bien que dépouillés de leur robe, bien qu’exposés à rencontrer à la barre, comme adversaires, les gens d’affaires les plus