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rogue à l’égard des grands ; ses habitudes studieuses par la culture et le savoir. Elle est en même temps française au sens le plus énergique, par le rôle qu’elle joue dans la formation du droit et dans les affaires religieuses. Ce Barreau, surtout celui du Parlement de Paris, concourut d’un effort incessant à créer d’abord, puis à fixer ce droit coutumier qui est le produit original de nos mœurs et notre loi nationale : en plaidant, en écrivant, en aidant à la rédaction de la coutume, les avocats ont été les bons artisans d’une œuvre qui a doté notre pays de ce bien inappréciable : une loi conforme à ses besoins, élaborée chaque jour suivant son génie propre, meilleure donc que la loi romaine et la germanique, puisqu’elle était faite exactement à sa taille et à ses convenances. Unis dans cette tâche séculaire au Parlement, les avocats n’eurent pas moins vif le sentiment français dans les ardentes querelles ecclésiastiques de l’ancien régime : ils furent gallicans ; ils le furent avec résolution et constance : ils défendirent de toute leur science et de tout leur patriotisme, tout en restant sincèrement catholiques, la cause de l’Eglise française contre l’absolutisme romain.

Dans son histoire professionnelle comme dans ce qu’on pourrait appeler sa fonction sociale, l’Ordre des avocats fait donc belle figure jusqu’à la veille de la Révolution. Il ne lui a manqué, pour se mettre au premier plan, que l’éclat de talens exceptionnels. Cet éclat, il ne l’a pas eu. Et ce n’est pas seulement que les règles, de la procédure laissaient aux plaidoyers une matière restreinte et souvent ingrate. Il y eut, certes, d’après le témoignage des contemporains, des avocats habiles, diserts, et même dont l’action était touchante, émouvante, admirée. Il n’y eut pas une seule plaidoirie qui méritât de survivre à l’heure où elle fut prononcée : aucune, en effet, n’a survécu. Ce furent des actes, non des œuvres de littérature et d’art.


III

Sitôt avant d’anéantir leur corporation, la Révolution rendit aux avocats un service extraordinaire. Elle ne pensait pas à eux, cependant : elle voulait supprimer, dans l’organisation de la justice, la cause d’un des abus les plus crians. Les nombreux avocats de la Constituante, plus de deux cents, furent les premiers à réclamer, à voter la réforme de la procédure