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secrètement la candidature Hohenzollern, a commis une grande faute. Le roi de Prusse aurait pu, d’après nous, réparer par un mot cette faute, sans qu’il en coûtât rien à sa dignité et nous ne pouvons tomber d’accord avec le comte de Bray et sa récente assertion qu’il s’agit ici de question allemande. Ce n’est pas de question allemande qu’il s’agit, mais d’une querelle regrettable entre deux grandes puissances… M. de Bray nous a avoué lui-même que la neutralité serait la meilleure des politiques, si les belligérans toutefois s’engageaient à la respecter. Or, la France a offert de la respecter ; le duc de Gramont déclare que la guerre ne saurait entraîner la conquête d’un pouce de territoire allemand et, si j’ai bien compris, la France est disposée à nous garantir expressément le Palatinat. On ignore jusqu’à présent les dispositions de la Prusse. Je ne me sens pas de force à discuter les chances des belligérans, mais dans la Commission on a émis cette pensée qu’en cas de victoire, la Prusse pourrait nous traiter fort mal, tandis que nous n’avons rien de pareil à redouter de la France : ce serait contraire à ses intérêts.  »

Bray et le ministre de la Guerre insistèrent contre cette neutralité : « Allons à l’Allemagne, dit Pranckh ; sans cela, nous sommes perdus ; c’est à nos dépens que les belligérans feront la paix.  » La Chambre néanmoins restait hésitante. Bray l’enleva par le coup de la dépêche : il donna lecture de deux télégrammes, qu’il venait de recevoir de son ministre à Berlin, l’un annonçant la déclaration de guerre de la France, l’autre, qu’un détachement français avait franchi la frontière près de Sarrebrück, emporté la caisse de la douane du Zollverein, et emmené prisonniers deux employés. L’argument parut décisif, et la neutralité fut repoussée par 89 voix contre 58. On adopta à la majorité de 100 voix contre 47, après que le gouvernement y eut adhéré, une motion du docteur Schleich qui, en le diminuant légèrement, votait « le crédit demandé pour l’armée dans le cas où la guerre deviendrait inévitable.  »

À la Chambre Haute il y eut, le 20, deux séances, l’une à huis clos à onze heures où l’on décida d’adopter le projet en séance publique, à midi, sans discussion, et il fut voté en effet à l’unanimité. Dans la séance à huis clos, Bray, comme s’il eût voulu se faire pardonner ses premières hésitations, prononça des paroles violentes peu d’accord avec le langage auquel il avait habitué nos diplomates : « Il y a quelques jours, dit-il,