Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France ni la Prusse ne pouvaient s’obliger à respecter ces deux territoires : l’eussent-elles promis, elles étaient dans l’impossibilité de le faire. Le Sud était donc forcé de se prononcer entre elles ; l’état général de l’opinion allemande les contraindrait à se déclarer contre la France et à s’unir à la Prusse, quel que fût le motif de la guerre, juste ou injuste, fondé ou non fondé. Beust ne nous le laissa pas ignorer. Dès le début de l’affaire, il nous avait avertis que nous commettrions une grande erreur si nous comptions sur la sympathie des États du Sud.

Nous ne pouvions empêcher la réunion de leurs contingens à l’armée prussienne qu’en les occupant rapidement et en déchirant par la force leurs traités militaires. Le général Ducrot m’a raconté que, lorsqu’il commandait à Strasbourg, il s’était rendu secrètement auprès du duc de Hesse à Darmstadt. Ce prince lui avait exprimé des sentimens d’horreur pour la Prusse et de sympathie pour la France : « Dites à l’Empereur que je suis avec lui ; je lui céderai Mayence et la rive gauche ; il me donnera une compensation sur mon détestable voisin (le grand-duc de Bade). Que dès le début de la guerre, il passe sur la rive droite et nous empêche par la force de nous joindre à la Prusse ! S’il nous laisse nous engager, il sera trop tard.  » C’était, en effet, la seule manière d’obtenir quelque chose des États du Sud. Les populations, en Wurtemberg, en Bavière et même à Bade, n’étaient pas favorables à la prépotence prussienne ; l’orateur Joerg exprimait leurs véritables sentimens lorsqu’il s’écriait : « Un prince allemand accepte l’offre d’une couronne de la main ensanglantée d’un général d’assassins, et le seigneur et maître de la Confédération du Nord donne sa bénédiction à cela. J’ai aussi un cœur allemand, mais quand la question de la candidature allemande vient frapper à ce cœur, il reste tout à fait froid, car un cœur allemand n’a rien à voir dans une pareille affaire.  » Mais ce n’était pas entre les mains des peuples qu’était la solution ; elle dépendait uniquement des rois et de leurs ministres, et ceux-ci étaient irrévocablement acquis à Bismarck. Alors que la guerre n’était encore qu’une hypothèse, les souverains et les ministres du Sud firent parvenir à Berlin des assurances formelles de concours : si la guerre sortait de l’incident, ils exécuteraient les traités militaires sans examiner la valeur du casus fœderis. Le 12 juillet, Loftus annonçait le fait à Granville : « Dans une entrevue avec M. de