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faculté, la puissance et la patience de s’ennuyer est l’un des gains les plus sûrs que le public ait retiré de certaine musique d’aujourd’hui.

Cette patience, pourtant, a des limites, et, je ne sais pourquoi, la musique de concert arrive plus aisément que l’autre à les franchir. Sur trois pièces exécutées au Châtelet un dimanche de décembre, l’une a fini par irriter une partie de l’auditoire. C’était une longue, très longue symphonie concertante pour violoncelle et orchestre, de M. Georges Enesco. Malgré toute la virtuosité de l’interprète, M. Salmon, et l’ardeur que mit l’auteur lui-même à diriger, presque à mimer son œuvre, le concerto ne parut guère autre chose qu’une contorsion perpétuelle, mélodique et rythmique, non seulement de l’instrument solo, mais de l’orchestre ou de la symphonie entière.

Auparavant, on avait trouvé ou retrouvé dans la Procession nocturne, déjà connue, de M. Rabaud, de sérieuses et solides qualités. : l’ordonnance logique et le plan suivi, toutes choses à leur place, un thème grave et digne, bien exposé, bien repris, avec, entre les reprises, des épisodes assortis ; bonne orchestration, ne ressemblant en rien à cette pâte, à cette pâtée, où souvent aujourd’hui, sous prétexte de fusion et d’homogénéité, se mêlent et se brouillent toutes les personnalités sonores.

Dans le Ménétrier, poème symphonique en trois parties, pour violon principal et orchestre, de M. Max d’Olonne, ce n’est pas l’intelligence, ni même la finesse, voire la subtilité, ni la sensibilité, ni la poésie, qui manque. Tout cela s’y trouve, au moins un peu de tout cela, non pas certes rassemblé, mais plutôt épars. Descriptive et pittoresque, l’œuvre se divise en trois tableaux : le ménétrier, au pays, joue les airs du pays, — puis, chez les Bohémiens, avec eux, le ménétrier, qu’ils ont entraîné, joue comme eux, — enfin, revenu parmi les siens, il leur a rapporté les chansons de là-bas et, la nuit, sur la lande, mélancolique et seul, il mêle en son jeu la musique et l’âme étrangère à l’âme et à la musique de sa patrie. Ce partage fait justement le charme triste, presque douloureux, du dernier épisode. Encore une fois il y a là de la distinction, de l’ingéniosité même, et de la poésie. Mais qu’il y a donc aussi de vague, d’incertitude et d ! à peu près ! Dans le sens musical et, plus spécialement, harmonique, du mot, que d’irrésolution ! Tout se prépare, tout hésite sans jamais, en effet, se résoudre. De cadence en cadence, toutes imparfaites et, comme disent les Allemands, « trompeuses, » la phrase tombe, tombe éternellement. On éprouve ici l’espèce d’impression que Tolstoï a définie « un espoir de musique aussitôt suivi