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femme : « Je vous dédie mon Macbeth, que j’aime entre tous mes opéras. Mon cœur vous l’offre, que votre cœur l’accepte. » L’œuvre, beaucoup plus qu’inégale, ruinée à peu près tout entière, a conservé pourtant quelque sombre beauté. Çà et là, sous les formes vieillies, le fond éternel, l’humanité, la vérité toujours jeune affleure, ou même éclate. Pour cela, deux ou trois mots, deux ou trois notes suffisent au génie, j’allais dire à l’instinct, car en cette musique sommaire, c’est à peine si parfois on peut reconnaître autre chose. Mais qu’il a, cet instinct, de promptitude et de justesse, de force et de sûreté ! Le triple salut des sorcières s’élève, lentement et sur trois degrés, mais s’accroît et s’ennoblit de cette lente ascension même. Verdi, lui, n’a pas manqué certains traits, certaine mots de Shakspeare. Apprenant que le roi Duncan vient ce soir et qu’il doit partir demain, lorsque lady Macbeth s’écrie : « Ah ! que le soleil ne voie jamais ce demain ! » il faut peu de notes (et sur quelles simples harmonies, sur quelle modulation élémentaire ! ) pour mettre dans ce cri, dans ce vœu, toute la volonté du meurtre résolu et, d’avance, toute la joie, l’horrible joie du meurtre accompli. Le duo (de vieux style) où le librettiste pressé du Macbeth italien a ramassé tant bien que mal, plutôt mal, les différentes scènes, dans Shakspeare développées et progressives, de Macbeth et de lady Macbeth, ce duo n’est pas tout entier superficiel ; plus d’un accent, plus d’un trait s’y rencontre, qui va loin. Enfin la scène du somnambulisme, dans son genre, — encore le genre ancien, — pourrait bien être un chef-d’œuvre de musique dramatique. Ici d’abord le librettiste italien, mieux inspiré que son confrère et successeur français, a conservé les deux témoins, la dame d’honneur et le médecin, que Shakspeare donne à l’égarement de lady Macbeth et qui nous le font plus terrible. Genre ancien, disions-nous. D’autres, avec plus d’irrévérence, disent : vieux jeu. C’est une rude partie à jouer qu’une telle scène, et celui qui l’a gagnée n’est tout de même pas le musicien nouveau. Rien ici n’est tombé, rien ne menace ruine. Beau prélude, mystérieux et tremblant. Entre les deux personnages qui guettent, non moins beau dialogue, à voix nue, à voix sourde, coupé de silences et de répliques d’orchestre. Et sans doute l’air de lady Macbeth est un air, mais d’où la composition, l’ordonnance, n’exclut ni les épisodes, ni les parenthèses, ni la liberté, ni la vérité du discours. Dans l’ampleur du parti pris et de la généralisation, pas un détail, pas une nuance ne se perd : pas même la petitesse de cette main de femme, et le peu de sang qui la tâche pour jamais, une goutte à peine, que par momens on croirait entendre tomber. Ailleurs